Peuplé de monstres improbables, d’insectes affairés, d’horloges antiques, d’ombres et de recoins angoissants, l’univers de Guillermo del Toro est, à l’image de ceux de Tim Burton et Wes Anderson, l’un des rarissimes à être immédiatement identifiable. Il était fatal qu’il nous proposât sa vision du conte gothique. C’est chose faite.


Une fois n’est pas coutume, permettez-moi une définition. Apparu à la fin du XVIIIe, le roman gothique anglais associe une frêle jeune fille contemporaine, victime de mystères du passé, à des décors médiévaux, une once de surnaturel, un séjour dans une crypte, des jeux de flambeaux et des moines, gargouilles ou spectres sinistres. Guillermo coche toutes les cases.


La première séquence nous plonge dans le (très) riche New York des années 1910. Un magnat du bâtiment s’inquiète de voir sa fille unique s’amouracher d’un beau, ténébreux et décavé aristocrate anglais. Sa mort brutale et opportune autorise l’union. Le couple se transporte à Crimson Peak (le sommet cramoisi), une bâtisse ancestrale perdue dans les Highlands. L’intrigue se resserre sur trois personnages et un château.


À jamais prisonnier du rôle de Loki, Tom Hiddleston est parfait, mais monolithique, en Sir Thomas Sharpe. Les jeux de Mia Wasikowska (Edith Cushing) et Jessica Chastain (Lucille Sharpe) sont plus subtils. La première apprendra (vite) à se battre, tandis que la seconde révèlera la noirceur de son âme.


La meilleure part est réservée au manoir, sublime de la cave aux greniers. Mobilier, tentures, boiseries, vaisselles, costumes… sont somptueux. Le hall d’entrée est d’une fascinante beauté. Sa voute percée laisse passer lumière tamisée, intempéries et feuilles mortes venues de nulle part, l’argile étant stérile.


Crimson Peak tient sa promesse initiale : il renouvelle la romance gothique, qu’il saupoudre de scènes (gentiment) gores. Les fantômes sont « hyperréalistes » - osons l’oxymore - mais purement décoratifs : ils interfèrent peu avec les héros. Del Toro annonçait un film d’horreur. Hélas, son statut de blockbuster lui interdit toutes audaces. Les transgressions politiques du Labyrinthe de Pan lui sont désormais interdites. Pour peu que vous ayez lu Barbe-Bleue et Jane Eyre, le scénario se révèlera aussi aride et prévisible que les terres rouges des Sharpe. Sa seule surprise réside dans son féminisme assumé. Edith et lady Lucille écarteront leurs pitoyables prétendants afin de régler leur compte à la hache et au poinçon ! Fortes femmes.

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le 14 nov. 2016

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Step de Boisse

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