Revenu du semi-échec de son titanesque et orgiaque Pacific Rim, le cinéaste mexicain Guillermo Del Toro se voit offrir l'occasion de concrétiser enfin un vieux projet datant de 2006, imaginé avec la complicité de Matthew Robbins. Avec dans ses bagages un budget confortable de plus de cinquante millions de dollars, obtenu grâce à la confiance du producteur Thomas Tull, le papa de Cronos va donc tenter de redonner ses lettres de noblesse à une certaine épouvante gothique, malheureusement boudée au profit de productions toutes plus roublardes les unes que les autres.


Sorte de film-somme d'un artiste à qui votre serviteur peut tout pardonner, Crimson Peak se pose rapidement en véritable profession de foi, celle d'un grand gamin refusant de rentrer dans le rang, clamant haut et fort son amour incommensurable pour le fantastique et les créatures en tous genres, pour un cinéma aussi pur que grandiloquent, dont on aurait bannit la moindre parcelle de cynisme ou de second degré. Ce qui en fait à la fois sa force et sa limite.


S'il y a bien une chose que l'on ne pourra pas retirer au nouvel essai de Guillermo Del Toro, c'est bien évidemment sa sidérante facture technique. Redonnant vie au roman gothique dans tout ce qu'il a de plus flamboyant, le cinéaste s'entoure de collaborateurs exceptionnels (Thomas Sanders aux décors, Kate Hawley aux costumes, Fernando Velasquez à la musique, Dan lausten à la photographie...) afin de retranscrire à l'écran sa folie créatrice issue d'influences diverses et variées, convoquant notamment les fantômes des soeurs Brontë, d'Alfred Hitchock ou bien encore de Jack Clayton, tout en rappelant fortement les plus grandes heures de la Hammer ou les adaptations d'Edgar Poe par Roger Corman.


Une opulence visuelle jamais lourde, donnant au contraire à Crimson Peak des allures de conte illustré comme on en voit bien trop peu sur nos écrans actuellement. Jouant malicieusement avec le cadre et les couleurs, parsemant son film de légers détails d'une poésie tout simplement fracassante, Guillermo Del Toro parvient à donner une véritable existence à son imposant manoir, réceptacle presque organique et agonisant des névroses de ses occupants. Chaque plan, chaque mur, chaque centimètre de ce théâtre de l'horreur exhale un doux parfum d'angoisse et de magie à l'état pur, faisant de Crimson Peak l'oeuvre la plus aboutie du monsieur d'un point de vue strictement formel.


Romance tragique et destructrice bien avant d'être un train-fantôme, Crimson Peak trouve cependant ses limites au sein même de son récit, Guillermo Del Toro et ses scénaristes se reposant bien trop sur leurs lauriers et peinant manifestement à s'éloigner des sentiers balisés du genre. Si Del Toro traite les deux aspects de son histoire (amours contrariés et surnaturel) avec le même enthousiasme, cela ne va malheureusement pas sans casse, sans dérapages incontrôlés.


Car si Del Toro gère admirablement bien sa première partie, parfaite illustration cinématographique des influences littéraires auxquelles il se réfère (je ne peux d'ailleurs que fantasmer sur une transposition de Jane Eyre par le barbu à lunettes), et si l'extrême prévisibilité du scénario est heureusement compensée par une honnêteté et une foi intense en ce que le cinéaste raconte, il subsiste malheureusement des défauts sur lesquels il sera difficile de fermer les yeux. A commencer par la tendance qu'ont les auteurs à surligner en gras bien baveux certains aspects qui auraient mérités plus de subtilité (surtout quand le spectateur devine le pot-aux-roses dès les premières minutes du film) et l'utilisation d'une poignée de jump scares un brin foireux, ce qui étonne de la part de Del Toro, que l'on a connu plus efficace dans les moments de flippe.


Un peu à la manière du Silent Hill de Christophe Gans, Crimson Peak est une immense déclaration d'amour à tout un pan du cinéma, aussi sincère dans sa démarche que bancale dans son résultat. D'une beauté picturale proprement sidérante, recelant de fantastiques instants de grâce et interprété avec un réel talent par un casting de haut vol (ils sont véritablement tous impeccables) mais aussi classique dans son déroulement et handicapé par un manque flagrant de finesse sur certains points, Crimson Peak est un édifice fragile, à deux doigts de se casser la gueule, mais retenu par l'amour inconditionnel que porte en lui son architecte. Et rien que pour ça, ma passion pour l'ami Del Toro continue de brûler de mille feux.

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le 18 oct. 2015

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Gand-Alf

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