Avec Rocky Balboa, Sylvester Stallone semblait avoir livré un véritable film testament, mettant son personnage à nu et allant jusqu'à mettre ses propres tripes sur la table. En résultait un film sincère et riche d'émotions contraires, qui renouait avec la simplicité du premier Rocky et nous renvoyait trente ans en arrière tout en auscultant l'impact de son icône sur la culture populaire.
Devant ce Creed, on ne peut s'empêcher de penser qu'il est très difficile de passer après un tel sommet, à l'identique de son nouveau héros qui veut se détacher de l'ombre de son illustre père et réussir par lui-même. Le parallèle, conscient ou non, plane sur tout le film. Car pour aussi réussi qu'il soit, Creed - L'Héritage de Rocky Balboa souffre des émotions dont son aîné jouait dans sa réflexion sur le statut des idoles plus ou moins déchues. Sans doute parce que Stallone ne signe pas le scénario, pas plus qu'il ne réalise le nouvel opus mettant en scène SON personnage.
L'héritage, lui, a été remis dans les mains très capables de Ryan Coogler tandis que le rôle titre échoit à Michael B. Jordan, tout juste sorti d'un fantastique four l'été dernier. Profondément ancré dans la mythologie qui le nourrit, Creed trace sa route en s'intéressant à l'aube d'une carrière naissante enchassée dans le crépuscule d'une figure majeure du cinéma contemporain qui fait face à la route qui s'arrête. Et c'est à ce moment précis que l'émotion naît, de la fatigue et de la faiblesse de son mythe en plein acte de transmission, lui qui est relégué en arrière plan, sur le mur du fond d'un gymnase vétuste d'une Philadelphie où le temps semble s'être arrêté à la fin des années 70.
Mais il faut se rendre à l'évidence et accepter le fait que Rocky ne livrera pas d'autres combats. Et se faire à l'idée qu'Adonis Creed représente l'avenir. Il faudra se faire à ce rajeunissement. Et se résoudre aussi à ne plus entendre la musique immortelle de Bill Conti, dont seules quelques notes éparses pourront être jouées à l'occasion. D'autant que l'héritier ne démérite pas, loin de là. Car en montant sur le ring, il perpétue avec un certain talent la continuité du style Rocky Balboa. Si les difficultés qu'ils rencontrent ne sont pas les mêmes, c'est une rage identique qui les anime et qui les pousse à taper leurs poings contre les murs. Leur ascension est similaire, tout comme la rencontre avec la femme de leur vie. Seul manque ce léger surplus d'émotions que n'arrive pas à susciter Jordan, alors qu'il est bon, voire même excellent, dans son rôle et dans sa connexion avec son mentor, dans la volonté commune de se battre.
La réalisation est excellente, aussi, et le combat à la hauteur de celui qui conclut le dernier épisode. Dommage seulement que l'antagoniste, qui ressemble dans son comportement à Clubber Lang, ne soit pas plus charismatique et paraisse assez grassouillet. Mais cela n'enlève rien à la tension qui anime le match, filmé au plus proche, où l'on sent que chaque coup fait mal, que chaque crochet marque, que chaque choc encaissé maltraite un peu plus l'organisme.
Changement de mains, changement de têtes, tout en appliquant les mêmes recettes, une fois tout ceci digéré, on ne peut que se rendre à l'évidence et admettre que Creed porte haut l'héritage de Rocky Balboa dans un film agréable et de bonne tenue, dans lequel on ne s'ennuie pas une seule seconde. Même s'il fait aussi le deuil d'une icône du cinéma.
Behind_the_Mask, qui n'aime pas le changement.