L’emblématique et sulfureux Crash de David Cronenberg passe de nouveau dans nos salles de cinéma, dans sa version restaurée. Pour notre plus grand plaisir.


Crash est l’adaptation du roman homonyme de J. G. Ballard. C’est tout bonnement la description d’une addiction, d’une longue virée en enfer : une addiction qui mélange les effluves de la douleur, de la jouissance et du plaisir pour en faire un tout indissociable. Une expérience marquante. Grâce au matériel de base, David Cronenberg arrive à dessiner les traits d’une liberté abrasive, celle qui enchaîne les individus à leurs propres stigmates obsessionnels.


À la fois irréel par son aspect fantasmatique, mais paradoxalement inclus dans un environnement cohérent avec notre réalité, Crash matérialise l’imagerie d’une société où le consumérisme imprègne nos besoins les plus primaires mais bouleverse également l’intensité de nos désirs. Le corps dans le cinéma de David Cronenberg n’est pas un vulgaire artifice : c’est le premier réceptacle faisant face à la modernité du monde (Videodrome). En ce sens, Crash s’éprend des spasmes d’une sexualité débridée et qui détonne par son exaltation pour l’autodestruction. La machine, matérialisée par la voiture, n’est pas évoquée comme étant la simple métaphore de la puissance sexuelle, mais devient un prolongement du corps humain et un artefact du destin des personnages.


Pour ce faire, le réalisateur canadien discerne avec un regard froid cette étincelle de douleur, ce moment de flottement vers une jouissance mortelle. Crash est l’abrupt récit de James Ballard : victime d’un accident de voiture, il finit criblé de cicatrices. Abonnés au libertinage, lui et sa femme vont alors s’engouffrer dans leurs pulsions et s’enfoncer dans un fétichisme déviant. Broyer, manipuler, déchirer les fragments du corps pour mieux faire rejaillir cette frénésie charnelle, telle est la volonté du réalisateur. Crash est un film qui exalte autant qu’il fait mal et répond parfaitement à cette idée même de l’oeuvre vue comme « un caillou dans une chaussure ».


C’est le visage de ce capitalisme qui végète, qui ne cesse de vouloir délimiter sa frustration. Il s’amuse de jeunes adultes qui s’ennuient et qui essayent de travestir leur quotidien et accroître leur sensibilité. S’appuyant sur une mise en scène suivant la trame de l’épure, évoquée par l’horizontalité du cadre et la méticulosité du montage, David Cronenberg fait de Crash un pur processus de mortification du plaisir et nous insère dans un antre clos, décharné, morbide, une ville fantôme aux routes vidées par la mort. Il dissèque un monde où la matérialité de la technologie nous envahit, nous domine presque et transfigure nos pensées, où les éraflures de voitures sont imaginées comme des caresses venant du souffle évaporé du vent, et où l’odeur de la taule froissée remplace l’odeur suave de l’humain.


David Cronenberg nous amène sur les routes, dans des parkings, à l’arrière des voitures : des lieux nouveaux propices à toutes les folies. C’est là où réside la soif de liberté du film : exhumer des passions inconscientes. Cette sensation de perdition sur le bitume n’en est que plus enivrante. Le réalisateur ne joue jamais la carte du questionnement moral, mais dévoile ce sentiment de nihilisme avec appétence : il exhale le penchant d’une petite communauté de personnes pour ce goût du risque et cette dépendance à l’adrénaline suicidaire. Pour preuve, Crash contient de multiples scènes de sexes qui sont alors dépeintes comme des rituels rendant hommage à la mécanisation du monde et à cet attrait du sang sacrificiel.


Cristallisé par une imagerie érotique, au versant satirique et parodique, Crash réussit idéalement cette introspection dans les fantasmes humains. Les plaies ou les cicatrices représentent dès lors le mariage vers la résurrection : des saillies qui attirent la mystification du désir et la fêlure de la tristesse. David Cronenberg nous délivre donc un film organique qui prolonge notre vertige face au néant, où la technologie créée par l’homme entraîne la mutation de notre existence et modifie les liens humains les plus douloureux. Une brillante leçon de vie vers la mort.


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Velvetman
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le 8 mai 2015

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