Dans un film aussi étonnant que moderne, l'autrichienne Marie Kreutzer signe un portrait de l'impératrice autrichienne loin des cucuteries et autres nunucheries de la saga des années 50.


Noël 1877, Élisabeth d’Autriche (Sissi), fête son 40e anniversaire. Première dame d’Autriche, femme de l’Empereur François-Joseph Ier, elle n’a pas le droit de s’exprimer et doit rester à jamais la belle et jeune impératrice. Pour satisfaire ces attentes, elle se plie à un régime rigoureux de jeûne, d’exercices, de coiffure et de mesure quotidienne de sa taille. Étouffée par ces conventions, avide de savoir et de vie, Élisabeth se rebelle de plus en plus contre cette

image.


Le film n'est pas tellement historique. Le contexte est évoqué à plusieurs reprises. On évoque les tensions dans les Balkans ou en Hongrie, ou des faits réels de la vie de l’impératrice comme son lien fort avec son cousin Louis II de Bavière. Mais au fond, ça n’est pas le sujet. Le sujet du film, c’est Elisabeth d’Autriche. ‘Corsage’ est en fait un très beau portrait de femme. Le portrait d’une femme qui en a marre de l’étiquette à laquelle elle est sans cesse ramenée (par son mari, ses dames de compagnie et même ses enfants).


Alors que son mari a pour rude tâche de gouverner, son rôle à elle est la représentation. D’où la nécessité de rester belle. Marie Kreutzer sait montrer le poids de l’étiquette. On la voit sans cesse mettre son corset, se peser, manger léger, se coiffer. Corsage sera l’histoire d’une émancipation, celle d’une femme qui s’ouvre au savoir médical, artistique, politique.


‘Corsage’ évite l’écueil du film en costume, à savoir la boursouflure, la quête de vérité absolue dans les costumes, la reconstitution. Au contraire, c’est un film austère, à l’os. Il y a des costumes évidemment, mais pas de fioritures. Au lieu d’utiliser des décors de carton-pâte, Marie Kreutzer a choisit d’utiliser les lieux historiques mais dans l’état où ils sont aujourd’hui. Les mauvaises langues diront que c’est pour des raisons budgétaires. C’est sans doute vrai mais ce choix empêche le film de tomber dans l’ostentatoire et lui impose une sobriété bienvenue.


Le plus étonnant et pour moi la meilleure idée du film, ce sont ces anachronismes (volontaires !) qui parsèment le film, à la fois ostensibles et discrets. On voit Sissi fumer des clopes comme on le ferait aujourd’hui, elle fait un doigt d’honneur. Il y a un aspirateur, un tracteur. En plus d’être assez drôles, ces anachronismes confèrent une insolence au film. Certains effets cinématographiques sont également anachroniques. Il y a des ralentis, un regard caméra. La musique n’est pas d’époque. Tout cela est une sorte de doigt d’honneur à la bienséance historique. Mais il y a une autre raison derrière cette idée, me semble-t-il. J’ai parfois eu l’impression que le film évoquait en filigrane la princesse Diana, une autre personnalité royale qui ne s’est jamais senti à sa place à la cour. Il y a la relation avec le palefrenier, les longs passages en anglais du film, la princesse qui se laisse filmer qui peut faire écho aux interviews de Diana Spencer. Pablo Larraín avait réalisé un biopic raté sur la Princesse de Galles (‘Spencer’) dont j’ai fait une critique) qui se voulait également anachronique et insolent. ‘Corsage’ est peut-être le film qu’il aurait dû faire.


Dans le rôle d’Elisabeth d’Autriche, Vicky Krieps est étonnante et joue avec effronterie l’impératrice. Il est clair qu’elle apporte davantage de complexité et d’épaisseur psychologique que Romy Schneider dans la saga hagiographique autrichienne (avec l’immense respect que je porte à l’éternelle Romy Schneider, et qui avait déjà une jolie présence). L’actrice luxembourgeoise porte à bout de bras ce film très réussi. ‘Corsage’ est vraiment un film à découvrir.

Noel_Astoc
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le 2 janv. 2023

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Noel_Astoc

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