Alors que les portraits de femmes de pouvoirs fleurissent ces dernières années, notamment sous le regard de Pablo Larrain (Jackie, Spencer), l’idée d’aller gratter le vernis du mythe de Sissi l’impératrice était une tentation légitime : c’est chose faite dans Corsage, qui voit Marie Kreutzer propulser l’incontournable Vicky Krieps au devant de la scène, pour traquer ses failles et la façon dont le corps et l’esprit vont s’effilocher au contact du protocole.


Le film ambitionne dès son ouverture d’investir l’envers du décor, en investissant les coulisses de la représentation, et les ressort d’une vaste comédie dans laquelle on ne s’autorise même pas à rire : les évanouissements sont feints, les révérences hypocrites, et les silences masquent à peine un regard inquisiteur qui traque les signes de vieillissement ou de fléchissement. L’esthétique est donc à l’avenant : d’une richesse argentique décatie, l’image fait la part belle à une patine non maîtrisée (la rouille, les rides, l’obscurité, l’usure des étoffes), et s’égare dans des appartements privés où les divertissements sont souvent tristes ou désabusés.


Les indices de la rébellion auront certes quelques accents lyriques, et chercheront la poésie de quelques fulgurances (une course à cheval, une baignade nue, des compagnonnages audacieux), mais rien ne semble pouvoir briser la gangue poisseuse qui maintient la figurine sous sa cloche de verre. La visite d’un hôpital où des traitements expérimentaux sont pratiqués sur les femmes psychotiques renvoient métaphoriquement à sa propre condition, dans lequel elle aura le privilège de limiter la souffrance physique du fait de son statut social.


Car c’est aussi cette période étrange de transition que cherche à mettre en lumière Marie Kreutzer, dans laquelle l’horizon du XXème siècle laisse entendre de possibles innovations vers une nouvelle ère, loin de ces pierres, ces tentures et ces uniformes qui semblent n’avoir pas bougé depuis des siècles. Ainsi de cet opérateur qui va venir filmer l’impératrice, qui pourra, à la faveur du cinéma muet naissant, s’exposer dans une catharsis où les insanité resteront à l’état de mouvement des lèvres, par une sorte de danse libératrice. À l’autre bout du spectre, son médecin fera de l’héroïne le remède à son mal, l’enfermement définitivement dans sa prison dorée, jusqu’à l’intérieur de son propre corps.


Les coulisses resteront donc le point d’horizon d’un destin qui, loin de réellement s’émanciper, n’en déplaise aux conflits ouverts avec le mari ou aux doigts d’honneur lancés aux convives, s’effondrera sur lui-même : en laissant les doublures se charger du protocole, Elisabeth abandonne son image, et projette la sienne sur la proue d’une fuite mentale qui a tout de la noyade.


Sergent_Pepper
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le 16 déc. 2022

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le 16 déc. 2022

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