Comancheria commence comme un film de braquage classique, tendance coups à moitié minable afin de faire du fric facile. Rien de bien neuf a priori, sauf le cadre de son scénario, qui fait évoluer son duo dans une sorte de western, dépoussiérant à peine le mythe des frères James. Dans un décor de patelins abandonnés de l'Ouest des Etats-Unis constamment écrasé par la chaleur lourde d'un soleil sans nuages. L'univers du film semble comme avoir vingt ans de retard, jouant sur des moeurs figées et hors du temps. Drôle d'impression qui emporte immédiatement l'intérêt du spectateur tout en signant une ambiance touchant parfois à la mythologie.


Cette mythologie est aussi charriée par les grands espaces traversés, parsemés de puits de pompage et seulement ceinturés des rubans de goudron sans fin qu'arpentent les frères dans ce qui transforme Comancheria en un road movie nonchalant, sans pour autant ennuyer. Loin de là. Car ils sont poursuivis, j'ai oublié de vous dire, par un duo de marshalls mal assortis duquel un imposant Jeff Bridges émerge en vieux renard, enquêteur ancienne méthode rincé, bougon et un brin vachard. Il donne au film l'occasion de respirer un autre oxygène, moins brûlant, celui de saillies humoristiques constantes prenant pour cible son adjoint. Ruptures de ton et d'atmosphère multiples.


Tandis qu'au cours de l'odyssée, le scénario de Taylor Sheridan fait que l'on s'attache aux voyous qu'il met en scène, malgré leur statut d'anti-héros. Ils représentent les derniers lambeaux d'une famille que l'Amérique ne cesse de porter aux nues en tant que valeur cardinale et refuge, mais qu'elle ne fait, ici, qu'acculer au désespoir, spolier, et humilier, nourrissant ainsi la rancoeur et la réponse, en forme de violence physique, à la violence capitaliste.


Car finalement, Comancheria dépasse son scénario pour, encore une fois, dresser un portrait de l'Amérique peu reluisant. Pas besoin ici de métaphores. Le pourquoi de ses braquages, développé tout le long d'une route à sens unique, certains dialogues sans fard ne font que mettre en exergue la construction de la nation, naguère sur la spoliation des terres et le pompage, aujourd'hui sur un capitalisme sauvage et financier qui marche sur la tête des plus faibles, les relèguent en dehors du rêve américain tout en les maintenant dans la misère. Et ces grands espaces en guise de décors, ces villes presque arriérées, ce casino que l'on utilise, ce sentiment presque hors du temps, cette ambiance western, tout cela fait sens une fois confronté au message du film.


Un film qui changera encore une fois de rythme dans son derniers tiers, en en emballant les enjeux dramatiques, en signifiant clairement que le duo criminel ne pourra pas faire marche arrière. Les émotions transmises atteignent leur apogée dans la division de la cellule fraternelle, de la relation entre Chris Pine et Ben Foster qui sonne toujours juste. Comancheria culmine dans cette séparation, en haut d'une colline prise d'assaut, encore une fois empruntée au genre western, puis dans une dernière confrontation, mettant en relief les sacrifices consentis pour briser la malédiction, tout autant que ceux sur lesquels s'est fondée une nation.


L'Amérique est bel et bien bâtie sur un cimetière.


Behind_the_Mask, braqueur amateur.

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le 7 sept. 2016

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