Un western nostalgique aussi roux que l'Ecosse

"Trois ans de service en Irak.
Et le pays semble nous oublier ici".
Dès le long travelling latéral d'ouverture qui capte ce slogan de protestation inscrit sur un mur, le ton est donné et l'on comprend vite que le braquage de banque auquel on assiste ensuite, perpétré par deux cagoulés égarés plus que véritablement méchants, nous convie à nous pencher sur le sort de ces laissés pour compte de la société, êtres abandonnés qui semblent légion dans ces petites villes hors d'âge d'un Texas brûlé par le soleil. Western social, donc, qui assume un grand écart entre un cadre tout droit venu de ses grands frères de cinéma et un ancrage clairement affiché dans le temps présent. Un peu comme si Ken Loach se transportait au pays des cow-boys... Est-il nécessaire de rappeler que le réalisateur, David Mackenzie, est lui-même écossais ?


La caméra accompagne dans leur fuite les deux héros paradoxaux, qui se révèlent être frères, tous deux fraîchement orphelins de leur vieille mère, disparue, malgré les soins du cadet, pendant que l'aîné achevait de purger dix années de prison. Est alors révélée la cause et le but du braquage : éviter que la ferme familiale soit saisie par la banque. Il s'agira donc de se procurer, auprès de la banque menaçante, l'argent qui permettra de sauver la maison.


Lancées sur les routes rectilignes du Texas, tantôt fonçant vers leur proie, tantôt fuyant leurs poursuivants, les voitures successives utilisées par le duo fraternel volent de braquage en braquage, souvent filmées en plongée verticale, dans un plan large qui rend au passage hommage au pays. La musique fascinante de Warren Ellis et de Nick Cave leur compose une escorte, tantôt emmenée par un rythme country plein d'allant, tantôt, et de plus en plus souvent, s'étirant en longues notes arrachées à un violon plus ou moins grinçant, qui libère un son lourd de menaces. De fait, les frères eux-mêmes sont sans illusions sur le bout de leur tunnel ; une fois le legs assuré aux enfants du cadet, très convaincant Chris Pine, ils savent que "on a rarement vu quelqu'un se sortir" d'une pareille spirale. Cette conscience assumée et mise en avant donne un tour particulièrement nostalgique à leurs succès enchaînés, sorte de "Ballade avec l'argent et la mort" qui mène à l'affrontement final.


Final mais non ultime, puisque le sacrifice ne sera pas complet et que la joute conclusive se fera avec des mots et en jouant du crochet de la métaphore :
"Je viendrai peut-être un jour t'apporter la paix.
- Il se pourrait que ce soit moi qui vienne t'apaiser..."
Échange qui en dit long sur la subtilité du propos, la complexité des liens humains ici montrés, et sur le chemin parcouru depuis les westerns aïeux.

AnneSchneider
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le 8 sept. 2016

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Anne Schneider

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