Le seul film que j’avais vu de Bertrand Bonello jusqu’ici était L’Apollonide : souvenirs d’une maison close, donc la seule chose que je sais de ce réalisateur et de son style, c’est que je ne sais rien à part qu’il n’a pas l’air conventionnel. En gros, je ne vais pas placer ce Coma au sein de l’entièreté d’une filmo, d’une patte ou de je ne sais quoi. Je vais en parler principalement dans son individualité.


Alors une introduction de plusieurs minutes, composées uniquement d’images totalement floues que vous pouvez obtenir vous-même en allumant accidentellement la fonction “caméra” de votre portable lorsque vous le fourrez dans votre poche. Sur ces images, des sous-titres jaunes s’affichent. C’est par cet intermédiaire que le cinéaste dédie cette œuvre à sa fille (à qui, d’après ces mêmes sous-titres, il avait déjà dédié un de ses précédents films, Nocturama !) et explique vaguement les raisons qui le poussent à faire cela.


Si vous avez réussi à ne pas piquer du nez au bout de ses longues minutes pas franchement captivantes, en fait, l’histoire principale, c’est celle d’une adolescente qui, pendant le confinement, essaye de passer le temps en visionnant les vidéos YouTube d’une certaine Patricia Coma (incarnée par l’élégante et charismatique Julia Faure !), exposant une vision cynique de l’existence, et en laissant vagabonder ses pensées. C’est sa vie de confinée que l’on suit par l’intermédiaire de sa psyché, dans laquelle tous les délires sont possibles.


Ainsi, une forêt sinistre devient un refuge, où les vivants ont la possibilité de rencontrer les morts, où les personnes qui ne se sont jamais croisées IRL peuvent se parler en face-à-face (la jeune fille et son idole !). Des poupées vivent des aventures de Soap Opera et les vicissitudes absurdes qu’elles rencontrent s’expriment par l’intermédiaire d’un casting de voix qui a de la gueule (Laetitia Casta, Louis Garrel, Anaïs Demoustier, Vincent Lacoste et le regretté Gaspard Ulliel dans son tout dernier film tourné !), dont la puissance de jeu réussit à donner de la chair à ses bouts de plastiques assemblés et fabriqués en Chine. Il y a aussi le Révélateur, jeu auquel il n'est pas possible de perdre. Ce qui engendre de la dépression, en nous faisant prendre conscience symboliquement de notre absence de libre-arbitre.


L’ensemble est surtout un prétexte pour le moins kaléidoscopique pour Bonello d’exprimer sa propre vision sombre et pessimiste du monde, peut-être un peu trop adulte, trop expérimentale pour pouvoir se faire passer pour celle d’une adolescente. Dans ce monde, le réchauffement climatique, la présence nucléaire (par le biais des figures de Donald Trump et de Kim Jong-un !), la fascination pour la violence (mention spéciale pour la séquence saisissante et parfaitement incarnée durant laquelle la jeune protagoniste discute avec cinq amies sur Zoom de tueurs en série sur un ton décontracté, comme si ces horribles personnes étaient des stars de cinéma à admirer !) et un Internet avec ses algorithmes, analysant qui on est, vivent en parfaite harmonie. Il y a des extraits de L’Enfer de Clouzot pour illustrer de même qu’un discours de Gilles Deleuze nous invitant à nous méfier des rêves des autres.


C’est disparate. Il n’est pas forcément évident à chaque fois de savoir où le cinéaste veut en venir (d’ailleurs, je pense que c’est un peu le but !), mais le tout recèle de moments vraiment agrippants et réussis (la conversation Zoom, les histoires sentimentales des poupées et les vidéos YouTube de Patricia Coma !). On adhère ou on n’adhère pas à l’ensemble, mais, au moins, cette synthèse d’un cauchemar à l’ère du numérique sort des sentiers battus et touche sporadiquement parce que, par instants, elle expose des choses qui ont déjà hanté chacun d’entre nous, au sein de notre esprit, dans notre subconscient ; ces refuges intérieurs.

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le 18 nov. 2022

Modifiée

le 18 nov. 2022

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Plume231

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