Coco
7.7
Coco

Long-métrage d'animation de Lee Unkrich et Adrian Molina (2017)

Les bons sentiments font-ils toujours les bons films ? Si ce n’était un certain studio d’animation américain, on serait tenté de répondre par la négative, voire même de commuer la question en une sorte d’axiome cinématographique : les bons sentiments font souvent de très mauvais films. Ce qui fait de Coco une exception à la règle, je l’ai évoqué à l’instant, tient dans cinq petites lettres : P-I-X-A-R. S'il est vrai que l’écart avec la concurrence s’est quelque peu amenuisé ces dernières années, des suites conjointes de la réfection concurrentielle et de son propre effritement créatif, il l’est autant que Pixar jouit toujours d’une position privilégiée sur l’échiquier de l’animation. Preuve en est sa quasi-inviolabilité sur cette durée : en six ans (depuis Cars 2 en 2011), le fossé s’est maintenu si large qu’à peine quelques films ont su y jeter un pont et le franchir ; alors même que le bateau tanguait et menaçait de chavirer, son hégémonie sur les mers demeurait majoritairement incontestée.


Sa force narrative, créative, artistique et émotionnelle, Coco la tire donc de sa filiation avec Pixar et l’hérite, comme un Windsor du trône d’Angleterre, d’une longue tradition initiée il y a plus de vingt ans avec Toy Story (d’aucuns diront depuis Luxo Jr. en 1986). Toute l’identité du studio est donc une nouvelle fois réunie : niveaux de lecture multiples, rite initiatique, maturité, finesse, humour, éblouissement visuel... Mais là où Coco se distingue de ses augustes aïeux, là où il s’affranchit de son glorieux lignage, c’est dans l’épaisseur du fil avec lequel il tisse son suaire. Certes, les thématiques de la mort et du deuil avaient déjà été filées par les petites mains de Pixar, mais l’économie et la retenue avaient alors guidé leurs gestes : le deuil de l’enfance n’était ainsi qu’un sous-texte de la saga Toy Story, et ceux du père, du fils et de la femme aimée, celui du Monde Némo et de Là-Haut, respectivement. Dans Coco, la mort est abordée de front et sourd à travers chaque scène. Elle ne s’appréhende non plus dans sa potentialité, comme dans les films suscités, mais dans son actualité et son rapport à la vie : plus seulement un spectre qui flotte au-dessus de l’histoire et des personnages comme un nuage inaccessible, elle en devient le moteur et l’essence. Elle menaçait jusqu’alors, elle gronde maintenant et tombe en hallebarde. Plus précisément, le film interroge la relation d’interdépendance de la vie et de la mort et leurs conditions d’existence respectives. L’une, nous dit-il, ne saurait exister sans l’autre : les morts pas davantage que les vivants ne sauraient en effet se maintenir dans la mort ou s’accomplir dans la vie, sans les souvenirs des uns et l’héritage des autres, respectivement. Les cadets témoignent ainsi à leurs ainés l’agrément de leur dévotion passée. L’amour se donne et se rend mais ne meurt jamais.


Les autres thématiques abordées par le film sont si nombreuses que les énumérer et les aborder toutes se révèlerait fastidieux, vain et sans fin. Aussi ne m’attarderai-je que sur deux d’entre elles qui, j’estime, méritent qu’on s’y attarde un peu. La première est celle de la duplicité des mots et plus particulièrement de la double lecture que l’on peut faire d’un slogan aussi bête et inoffensif en apparence que « Seize your moment ». D’abord exhortation à l’émancipation et à la liberté, le grotesque leitmotiv tend en effet, à mesure que se délite le masque de son non moins grotesque héraut, vers leur double annihilation. D’abord hymne à la vie et ses contingences, il devient requiem pour la mort et sa nécessité. Comme les saintes huiles, il satisfait aussi bien aux exigences du baptême qu’il sacrifie à celles de l’extrême-onction. Porteur d’espoir, il en recueille également le dernier souffle. La seconde thématique, récurrente dans l’œuvre de Disney et de Pixar, est le rôle joué par l’art dans le grand théâtre de l’Homme. Il en est la condition et l’aboutissement, la cause et la conséquence, la prérogative et le préjudice. Il porte son existence et trahit sa mortalité. Il est partout autour de la scène et au cœur des enjeux de la pièce. Il rend immortel lorsqu’il nous met en lumière et optionnel lorsqu’il nous en éclipse. Dans Coco, la musique survit aux hommes et résonne sur les deux rives du temps : elle n’est le privilège ni des vivants, ni des morts mais le lien qui les unit. La photographie, elle, par les souvenirs qu’elle suscite en chacun, offre aux disparus le luxe d’une seconde vie ainsi que l’opportunité, le temps d’une nuit par an, à l’occasion du Jour des Morts, de retrouver le théâtre de leur vie passée. Quant au cinéma, il est la somme de tout ça. Pixar nous en fait une nouvelle démonstration ; ses petites mains ont bien œuvré : Coco c’est de la haute-couture.

blig
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le 5 déc. 2017

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blig

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