Une bande de post-ados insupportables, bourrés de pognon et aux problèmes complètements futiles ("c'est horrible ma vie est une impasse : je ne sais pas si je dois devenir PDG d'une multinationale ou bien Avocat d'affaires dans l'Upper East Side") se retrouve piégée dans un New-York en proie au chaos suite à une "attaque" indéterminée.
Ils entament alors leur fuite de la grosse pomme sans se séparer de leur caméscope, outil qui servira de témoignage de leur aventure.


"Le projet Blair Witch" rencontre "Godzilla", voilà de quoi résumer brièvement le concept du film. La caméra est donc l'extension d'un/des personnages, la caméra n'est pas extérieur au film, elle est une partie intégrante de l'univers. Une spécificité totalement occulté par Matt Reeves.
Certes il utilise cet artifice pour renforcer l'immersion, nous plonger en plein dedans et nous montrer la destruction de New York depuis le point de vue humain. On ne peut nier l'efficacité de la démarche à ce niveau là, certaines séquences sont vraiment prenantes et impressionnantes comme la fameuse scène de la Tête de la statue de la liberté.


Si la mécanique fonctionne, le point de vue, lui, fonctionne nettement moins bien.
Dans "Le projet Blair Witch" ce sont des étudiants en Cinéma travaillant sur un sujet, dans "Rec" c'est un JRI voyant son reportage se transformer en scoop incroyable. Dans "Cloverfield" qui tient la caméra ? Un mec qui n'en veut initialement pas et qui avoue ne pas savoir s'en servir. Pourquoi filme-t'il ? Pour s'amuser. Pourquoi continue-t'il à filmer ? Parce que.... heu...
D'un coup la mécanique se grippe, les personnages étant tellement superficiels et déconnectés de ce qu'il se passe (le héros veut aller vers le monstre pour sauver sa copine, soit... mais tout le monde le suit au lieu de fuir ? pourquoi ? parce que sinon il n'y a pas de film ! ) que les seuls motivations qui semblent logique sont : avoir un souvenir cool ou/et le mettre sur Youtube. Au départ on avait du mal à s'identifier à ces personnages (et donc de ressentir quoi que ce soit pour eux) ça devient encore plus compliqué une fois arrivé à ce constat


"Cloverfield" est donc le film d'une génération envahie d'image, une génération qui les consomme jusqu'à la nausée, qui les manipule à tout bout de champs mais qui ne les comprends pas, qui ne mesure pas leur importance et leur fonctionnement.
En oubliant de caractériser sa caméra et ses motivations Matt Reeves tombe dans le voyeurisme pur et dans le tic de mise en scène gratuit et donc très vite agaçant.


Impression qui se vérifie très vite lors de scène en totale contradiction avec le partit-pris "caméra au poing réaliste". Alors que les personnages marchent dans la rue, déserte et silencieuse, depuis un petit moment une roquette passe dans le haut du cadre, s'explose contre un immeuble et là la caméra fait demi tour et on découvre des dizaines de soldats au pas de courses ainsi que plusieurs véhicules, dont un char, qui étaient à une dizaine de mètre derrière les héros.
Quel était l'intérêt pour le personnage de se filmer à marcher dans la rue alors qu'il n'y avait rien d'intéressant ?
Comment peut on être suivi par un bataillon blindé sans rien remarquer (sans compter qu'un char d'assaut ça fait non seulement du bruit mais ça fait aussi trembler le sol) ?
Il a utilisé sa caméra et l'outil cinématographique comme s'il était dans un film d'action normal... comme si sa caméra et l'homme derrière étaient extérieurs à l'action. Matt Reeves a sacrifié la cohérence de son film et la force de son idée de départ pour faire une scène spectaculaire.


En soit la mise en scène de ce moment est très bien faite, très bien étudiée... trop en fait tant cela sonne "mis en scène" justement et donc complètement artificiel là où on essaye depuis le début de te faire croire à quelque chose de "réellement réel" (rappelez-vous le message d'introduction certifiant l'authenticité du témoignage).
Cette séquence est le point de rupture du film qui va dès lors se contenter de l'efficacité purement mécanique de son gimmick, détruisant petit à petit toute crédibilité.
Les personnages vont dans un labo top secret de l'armée ? Ok, personne ne leur enlève la caméra. Ils sont poursuivis par des monstres dans un tunnel ? Ok ceux-ci attendent qu'on les filme pour faire du bruit et attaquer, etc...
Dés lors l'utilisation du "Shakycam" n'en devient que plus gratuite.


La cohérence du film s'effrite encore un peu plus avec les nombreux placements produits encombrants qui le parcourent. Un personnage s'assied à l'entrée d'un Sephora ? Hop la caméra filme plein cadre le logo Sephora pendant un long moment et coince la tête de l'interlocuteur dans le coin inférieur droit du cadre, le dialogue n'ayant apparemment pas d'importance. Idem pour les nombreuses allusions et plans sur les mobiles Nokia, dernier espoir d'une humanité au bord de la destruction.


Mais le pire n'est pas là, en bon voyeuriste neuneu accro à Youtube qu'il semble être, Matt Reeves décide de détruire la seule bonne idée qu'il lui restait : il montre le monstre !
Non seulement il le montre (le design et les effets spéciaux sont d'ailleurs particulièrement nul à ce moment, on dirait un gigantesque morceau de latex) mais il le fait de la manière la plus ridicule qui soit : avec une contre-plongée extrême offrant au premier plan l'entre-jambe de la bête et au fond le regarde ahuri de cette dernière.
Adieu pouvoir de suggestion, adieu puissance du hors-champs, adieu menace sourde et bienvenue aux procédés démonstratifs lourds et sans intérêt.


Cependant "Cloverfield" possède une vraie efficacité, le rythme est soutenu et il est maîtrisé, on nous épargne les explications sur l'origine du monstre et il y a ces souvenirs du bonheur passé qui refont surface pour ensuite être effacé lorsque les personnages essayent de regarder le contenu de la cassette. Une idée délicate et plutôt bien utilisée (le plan final sauve un peu la lamentable conclusion du film). Il peut donc se "savourer" en mode "no brain" sans problème.
Mais une fois qu'on remet son cerveau en marche on se rend trop vite compte que tout ceci n'est qu'une immense supercherie malhonnête, le sentiment de trahison finit par dominer.


"Cloverfield" passe royalement à côté de son potentiel et n'est pas conçu comme un film mais comme un empilement de séquences. Le film est réellement spectaculaire, pas de doute là dessus mais subir la vision du monde au travers de personnages irritants et cons comme leur pieds (certains rebondissements sont particulièrement idiots) ça va sur 5 minutes mais sur 81: non.
Certains films ne comprennent pas ce qu'ils filment. Le problème de "Cloverfield" c'est qu'il comprend son sujet (on reste dans canevas du film de monstre géant sans véritable originalité) mais qu'il ne comprend pas COMMENT il le filme.

Vnr-Herzog
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le 24 déc. 2010

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