100 millions d'exemplaires vendus, un matraquage depuis des mois à coup de rumeurs de tournage, une omerta de la critique journalistique avant la sortie officielle, un soupçon de souffre et d'interdit, un tsunami marketing qui vient se glisser derrière chaque interstice pour vendre de la lessive ou des rouge à lèvres contre des fantasmes de bondage, ce qui devait arriver arriva et des queues s'allongent devant les cinémas même pour les séances du début d'après-midi, alors que le soleil brillait de mille feux.

A ma grande surprise, à force de nous vendre du "mommy porn", on avait oublié que ce n'était interdit qu'aux moins de 12 ans, le public de la salle ressemble donc à s'y méprendre à celui d'un film pour adolescentes : des grappes d'adolescentes gloussantes en bandes agglutinées vers les premiers rangs, des jeunes hommes esseulés en bout de rangée bloquant les issues des essaims de filles nubiles, des seniors égarés vers le fond, parce que même s'il y a du soleil, il fait encore trop froid pour leurs articulations arthritiques. Les publicitaires ne s'y sont pas trompés : les bandes-annonces sont uniquement destinées à un public adolescent, sauf une pour un film sur une maison de retraite pour les vieux du fond avant qu'ils s'endorment pour leur sieste post-prandiale.

Bref, après avoir fait durer plus que de raison les préliminaires, parlons de ce qui excite tout le monde : le film ! Rappelons que pour ceux qui commencent déjà à s'assoupir parce qu'ils ont plus l'âge de toutes ces conneries, c'est une fan-fiction de Twilight, l'inénarrable saga de vampires pour adolescentes qui a rappelé aux éditeurs qu'on pouvait se faire un paquet de pognon avec des vampires milliardaires qui ne couchent qu'après le mariage. Là c'est donc exactement la même chose, sauf que comme l'héroïne a quatre ans de plus que l'autre, elle couche directement pour avoir son Audi, son mariage et sa vie de mère au foyer trépidante. La boucle est donc bouclée. La lectrice est confortée dans son idéal de bonne reproductrice.

Inutile de tourner autour du pot, même une âme bienveillante et avertie comme moi a trouvé ça long et insipide. On peut pas leur en vouloir d'avoir trahi l'esprit du livre, c'était tout aussi chiant et mal dialogué. L'objet de tous les fantasmes a le même air éberlué qu'une poule ayant trouvé un couteau mais la taille de son dressing (première scène du film) arrachera sans doute les seuls soupirs d'envie de l'assemblée. L'oie blanche-Anastasia Steele dissimule sous ses yeux humides et son air d'ingénue une vraie stratégie de salope de première classe qui a tout compris pour arriver à ses fins (l'ordinateur/le penthouse/la voiture/le mariage) : vomir sur les gens, les appeler complètement bourrée, s'évanouir dans les bras d'inconnus, utiliser au maximum les points de suspension dans ses sms (sans vouloir essayer le beau système de suspension du plafond), négocier des sorties en hélico contre des coups de martinet.

Aboutissement du rêve d'une société américaine hygiéniste et puritaine, la succession de scènes de cul ne sont là que pour illustrer un parcours réussi vers le retour à la normalité du héros beau-riche-deviant-mais-c'est-pas-de-sa-faute. Et oui, comme Dexter, il a beaucoup souffert, sa maman l'a abandonné, il a crevé la dalle, il a été transformé en esclave sexuel par une bonne copine de sa famille, il poursuit les jeunes filles jusqu'à leur chambre à coucher, mais tout va bien, il est en costume-cravate, il est milliardaire et il s'appelle Christian, le Salut n'est donc pas très loin de la croix de torture qu'il a installée dans sa salle de jeu qui, soit dit en passant, est l'endroit le plus cosy de son appart dont le reste de la décoration ressemble à celle d'un Sofitel de province (sans doute un clin d'oeil à Strauss Kahn). Le chemin de croix dure quand même deux heures qui en paraissent cinq, une partie du public a choisi la facilité et a disparu avant la fin qui arrive quand on l'attendait plus, entre deux plans de porte d'ascenseur. Coitus interruptus comme on dit. Encore un an de patience avant de savoir si l'argent et la cravache font véritablement bon ménage. (Spoil : évidemment oui, même moi je signe).

Un film qui prouve qu'une fois encore on n'attrape pas les filles à frange avec du vinaigre : livres en édition originale, ordinateur, vêtements, sorties en hélicoptère et en planeur, encore des vêtements, une voiture, une sous-location gratuite, un job (dans le 2e tome), un mariage sous la communauté universelle, et tant d'autres délires mercantiles. Selon le magazine Forbes, qui n'ont vraiment que ça a foutre de calculer ce genre de choses, la fortune de Grey s'élèverait à 2,2 milliards de dollars. Pour ce prix-là, en plus de résoudre le trou de la Sécu, il aurait donc pu se payer pour des clopinettes une cargaison d'hétaïres d'Europe de l'Est, qui auraient fait le ménage après leurs partouzes au lieu de pleurnicher dès qu'il pleut. On n'est vraiment pas passé loin du chef-d'oeuvre.
Socinien

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