Ce qui fait la ligne de force du film, c'est la question concernant David : qui est-il ? Quel est son plaisir (qu'il prend apparemment dans le soin et l'empathie qu'il a quasi sans effort avec les malades) ? Bref, ses motivations. Il s'agit alors pour nourrir cette ligne de force de multiplier les hypothèses, ou en tout cas de ne pas les dévoyer. Il me semble que le film réussit parfaitement à le faire pendant une bonne heure, puis franchit un peu trop la ligne qui fait passer les informations données au spectateur, non plus du côté de la question, mais du côté de la réponse (Oui, c'est plutôt la règle, mais elle méritait sans doute exception ici...). Au même moment ou presque, heureusement, une autre question se pose avec Martha, la dernière patiente, et qui est, il est vrai, en rapport avec les éclaircissements donnés sur David un peu avant. Ce sont des éclaircissements de nature psychologique, voire psychanalytiques. Valent-ils la perte de l'interrogation et le passage à un nouvel enjeu dramatique ? Je ne crois pas. En tout cas, c'est ici que peut se jouer une partie de l'impression laissée par le film.
Quant à la fin (qui semble en choquer plus d'un, non pas psychologiquement mais pour des raisons scénaristiques), je trouve qu'elle remet quelques points d'interrogation et bien des hypothèses, non seulement concernant le personnage (se suicide-t-il lui-même ? Il regarde bien sur sa gauche, non ? Et si oui, pourquoi ? D'autres hypothèses s'ouvrent...) mais aussi sur le film lui-même, pris par cette morbidité et qui décide d'en sortir, en tout cas de nous en sortir. Elle me rappelle, de loin certes et pour d'autres raisons, le cri de la femme de l'aubergiste qui vient de recevoir sur son pied une porte claquée et qui nous sort, violemment certes, de la torpeur causée par la mort de Van Gogh... En tout cas, cela fait déjà deux hypothèses quasi indécidables... Pas de quoi crier au scandale, donc. Bien au contraire.
Je suis plus circonspect à certains moments du film sur une certaine raideur stylistique (plans fixes relativement longs, sans inserts), qui justement, en s'assouplissant ou changeant de principe en même temps que le changement de ligne du scénario aurait pu peut-être ouvrir d'autres portes.
Pour finir, les gestes de Tim Roth sont remarquables. Ils remplacent mille dialogues et mille explications, et leur douceur joue avec une certaine froideur émotive du visage, vient frotter sur elle. Ce sont des gestes de spécialiste (documentaire) avec un visage d'acteur (fiction) et les deux travaillent ensemble au mystère. C'est ce que je retiens principalement, sans parler de la justesse psychologique qui oppose David à la famille de John, de cette manière de s'acquitter d'une dette qu'on a honte de reconnaître soi-même en poursuivant quelqu'un en justice sous le premier prétexte possible (une certaine familiarité psychique avec le procédé stalinien des purges, non ? mais ce n'est pas le sujet qui a assez de questions comme cela.)