C'est après deux premiers long-métrages de science-fiction aux net accents dystopiques, que David Cronenberg aborda enfin l'infection et les transformations du corps comme les thèmes centraux de ses récits : d'abord avec Frissons (Shivers ; 1975), puis Rage (Rabid ; 1977), mais dans les deux cas de manière assez sobre, voire même avec un certain humour, au moins dans le premier titre cité, il s'imposa comme un chantre du sous-genre « body horror » – auquel appartiennent également des productions aussi célèbres que L'Invasion des profanateurs de sépultures (Invasion of the Body Snatchers ; Don Siegel, 1956), La Mouche noire (The Fly ; Kurt Neumann, 1958) (1), Eraserhead (David Lynch, 1977), ou La Chose (The Thing ; John Carpenter, 1982), parmi beaucoup d'autres.


Mais ce n'est pas avant Chromosome 3 que ce sujet atteignit un degré aussi viscéral dans la filmographie de Cronenberg, et de telle sorte qu'on peut presque y voir un manifeste du réalisateur. Ici en effet, l'esprit se voit autant mis à contribution que la science pure puisque c'est à travers une méthode de psychothérapie que le corps altère sa forme originelle, celle de la normalité ; cette étape s'affirme comme fondamentale dans l'œuvre du réalisateur car elle permet au thème de sortir du registre du pur « savant fou » : le personnage qui voit son corps se transformer n'est pas seulement victime d'une mutation suite à une expérience qui tourne mal ou tout autre événement comparable, il en est aussi coupable puisqu'il provoque cette mutation par l'intermédiaire de sa volonté propre – directement ou indirectement. L'influence de l'esprit prendra par la suite une importance croissante dans les films de Cronenberg, et notamment dans Videodrome (1982), Faux-semblants (Dead Ringers ; 1988), Crash (1996) et eXistenZ (1999).


C'est donc une représentation des circonvolutions les plus perverses, les plus autophages et les plus pernicieuses de la psyché que propose Cronenberg à travers ce procédé, et pas seulement une technique pour provoquer le dégoût comme dans la plupart des films d'horreur – et que ceux-ci tentent ou non de dénoncer les excès de la science, une problématique somme toute limitée, d'une part, et tant exploitée, d'autre part, qu'elle en a perdu sa pertinence depuis longtemps... Pour cette raison, il convient d'aborder Chromosome 3 comme il se doit, soit un film où l'ambiance et l'atmosphère comme les personnages et leurs relations pour le moins vicieuses importent plus que la violence ou le gore – au reste deux éléments qui s'avèrent ici aussi sporadiques que sobres et qui choquent assez peu, surtout 30 ans après.


En d'autres termes, ce n'est pas un « film pop corn » mais bel et bien une œuvre d'auteur... Au-delà d'une relative simplicité des images, c'est une inspiration pour le moins personnelle qui s'exprime ici en annonçant tout un pan d'une œuvre à venir dont la place dans le domaine du cinéma reste unique. Dans la lignée du renouveau de la création artistique qui marqua les années 60 et 70, la filmographie de Cronenberg utilise en fait l'imagerie d'épouvante et d'horreur pour mieux explorer des travers fondamentaux de la nature humaine, à l'instar de nombreuses grandes œuvres.


(1) dont Cronenberg, d'ailleurs, réalisera un remake en 1986, sous le titre de La Mouche (The Fly).


Distinction :


Prix du Jury de la Critique Internationale au Festival international du film de Catalogne en 1981.


Notes :


Dans des interviews, Cronenberg a affirmé que ce film s'inspire en partie de son combat juridique contre son ex-femme pour la garde de leur fille Samatha. Celle-ci a depuis travaillé sur plusieurs films comme assistante du réalisateur, dont un de son père, eXistenZ.


Au contraire de ce que peut laisser croire la version française du titre, Chromosome 3 n'est pas le troisième volet d'une série mais bel et bien un récit indépendant.


Le jeune cinéaste Breck Eisner (Sahara ; 2005) a été annoncé en décembre 2009 pour réaliser un remake de ce film.

LeDinoBleu
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le 8 mai 2011

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