L’une des premières séquences de César & Rosalie met en scène la rivalité des deux hommes qu’elle aime, César et David, au volant de leur voiture dans la campagne. On se dépasse, on coupe à travers champ, dans un mélange de bonhommie et de défi beaucoup plus profond. Cette utilisation de la voiture comme métaphore du trajet de vie et de dynamique sentimentale renvoie en bien des points au cinéma de Sautet : par les parallèles à établir avec la structure centrale des Choses de la vie, bien sûr, mais aussi et surtout dans cette mobilité fluide, cette virtuose évidence avec laquelle le cinéaste capte les vies et les sensibilités.


Dans cette nouvelle chronique de personnages qui pourraient être les mêmes qu’auparavant, le propos assume pleinement de se tourner vers la vie : quotidienne, fourmillante, dans des mariages, des maisons de vacances ou des parties de poker, les seconds rôles abondent et tous débordent d’énergie authentique.


Le triangle amoureux qui vient très rapidement contredire en apparence le titre n’occasionnera pas les excès et le pathos dont on l’affuble habituellement. A ses extrémités, simplement, des individus dignes et qui font ce qu’ils peuvent avec les élans qui sont les leurs. A voir Romy Schneider poser son regard sur ses hommes, on ne peut que succomber à notre tour : Sautet a toujours la même bienveillance pour scruter ses personnages, intègres et inaccessibles au jugement. Samy Frey, posé et mystérieux, semble au diapason avec le dense et lumineux silence de son regard. Face à leur évidence, Montand se distingue. Alors que le récit semble le désigner dans un premier temps comme le perdant, voire le mauvais bougre du trio, on constate avec bonheur qu’il n’en sera finalement rien. Maladroit, immature dans sa position de celui qui se pense le plus adulte, il est le seul à croire que faire la comédie permettra de révéler la vérité de ses sentiments : par l’admiration, la crainte ou la pitié. Jusqu’à l’utopie d’une vie à trois dans une maison sur la mer.


Mais on lui dit clairement : « la vie, c’est comme ça ». Aucune stratégie ne pourra contenir cette absence de programme. Rosalie n’est pas une militante, pas une révolutionnaire : elle sert une bière à l’un comme elle prépare le café à l’autre, et irradie avec le même éclat où qu’elle soit. Ce qu’il reste à faire, c’est de laisser la route filer, et le mouvement du trajet nous porter. Jusqu’au prochain carrefour.


Il restera ce parcours, et les sourires qu’il aura généré. Sans parole, sans recul, avec cette évidence : les yeux de Romy Schneider.


(8.5/10)


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Sergent_Pepper
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le 6 déc. 2015

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