Après O’Brother et Intolérable Cruauté, Burn After Reading vient huit ans plus tard, clore en beauté la fameuse Trilogie Des Idiots. Cette trilogie, si elle reste dans la veine de leur filmographie à savoir, insister là où ça fait mal, laisse de côté les losers magnifiques filmés jusque-là. Ils se penchent cette fois sur le cas d’une Amérique rendue imbécile, ici par le culte des apparences. C’est la question du corps parfait que pose Burn After Reading, un corps érigé en norme sociale, question encore « secondaire » de notre côté de l’Atlantique, mais prépondérante de l’autre côté. Question à l’origine de la spirale infernale qui va entrainer les personnages de Burn After Reading.


C’est le film le plus fougueux de la Trilogie Des Idiots, peut-être même de la filmographie de Joel et Ethan Coen. On peut même parler d’hystérie collective, tant les acteurs relâchés et prendre plaisirà interpréter des personnages qui ne vivent que peu pour leur intelligence. Ils semblent plus préoccupés par ce corps, qu’ils veulent « réinventer » ou cultiver par le sport. D’ailleurs les relations se font également d’abord par le corps, pour trouver un partenaire sexuel ou tromper le celui que l’on possède déjà. Le partenaire pouvant d’ailleurs devenir « les » partenaires, puisque la monogamie à répétition semble être ici un loisir.


On peut prendre ce film au premier degré, s’amuser de cette façade et de ces tiques, toujours corporels, qui rongent ces « héros » comme autant de gags. C’était le cas dans les deux précédents films, George Clooney est affublé de détails « qui tuent » son personnage. Dans Burn After Reading, il est un marshal fédéral bien peut sûr de lui, qui s’invente des allergies alimentaires, au gré des repas. Il passe son temps libre à courir, surtout après une partie de jambes en l’air. Frances McDormand est elle, en quête de quatre opérations de chirurgie esthétique, Brad Pitt est un coach sportif qui travaille son corps et en oublie son cerveau. Mis bout à bout, tout cela ressemble furieusement à un règlement de compte. Entre une part de la société qui oublierait qu’un esprit sain dans un corps sain est le préalable à ne pas mourir idiot et les frères Coen, grands spécialistes de la dissection. Un des états U.S. vient de leur donner raison en supprimant des écoles l’apprentissage manuel de l’écriture.


Les frères Coen n’ont pas toujours une réputation de génie de la mis en scène, en tout cas pas de la manière dont à pu l’être Orson Welles. Leurs obsessions ne s’y prêtent pas réellement et ce n’est pas ce qu’on attend d’eux. On leur demande de la satire, du sang même, des personnages truculents et une bonne crise de rire. Bien sûr leur mise en scène et irréprochable, si tant est qu’on la remarque tant on est pris par les péripéties des personnages et le jeu des acteurs. La bande-son est d’ailleurs l’avenant, quand on se remémore le film, on ne se la rappelle pas, ou si peu. Une bande-son en forme de support en fait, qui n’aurait de raison d’être que par le film.


Non ce qu’on retient, c’est un formidable quatuor d’acteurs autour desquels gravitent une aussi formidable galerie de seconds rôles et les seconds rôles, les frères Coen en ont fait un art. Difficile de les départager tous les quatre, ils ont la bêtise équitable. France McDormand, éternelle égérie, parfaite dans son idée de « se réinventer » corporellement, est à la recherche d’une forte somme d’argent pour payer ses opérations. Brad Pitt son collègue dans le film, prouve son talent comique. Plus d’une fois l’envie de le gifler nous prend. C’est un brave gars, mais décidément un idiot. John Malkovitch joue le négatif du quatuor, en sa qualité d’analyste renvoyé de la C.I.A. Pas un idiot par définition, mais un excellent vieil hystérique, que des crétins ont emmerdé toute sa vie. Pour finir George Clooney, le maitre étalon de cette trilogie, toujours incroyable, capable de tout jouer et en particulier de se jouer de lui-même. Un acteur complet qui reste ici si à distance de ses rôles de beau gosse des débuts.


Burn After Reading pose la bonne question, celle que Francis Veber avait abordée avec Le Diner De Cons : savoir si les idiots sont toujours ceux qu’on pense, savoir si la connerie ne se cache pas parfois sous le vernis fragile de l’intelligence. Savoir si les crétins sont bien identifiés, si l’intelligence de l’esprit est toujours le préalable à l’intelligence du cœur. Car à défaut d’avoir inventé l’eau froide, ces « idiots de service » font preuve d’une certaine sincérité, assortie d’une pointe de naïveté alors que ceux, supposés intelligents, ne vivent que de mensonges. Au fond l’idiot est-il un inculte ou un associable ? Les frères Coen posent la question et suggèrent une réponse qu’ils vous chargent de trouver.


http://www.cineseries-mag.fr/retro-coen-burn-after-reading-critique-du-film/

Jambalaya
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le 11 mai 2015

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