Je suis pas fou. Je veux pas l’être. C’est par cette réponse que commence la confession de Bruno Reidal, devant un comité d’experts tentant, en 1905, de comprendre comment ce jeune homme de 17 ans en est arrivé à décapiter un enfant.


Fait notable, le garçon est un lettré, et consent à écrire son témoignage pour éclairer son auditoire. Le récit à venir proposera donc, en voix off, de larges extraits de sa prose, alliés à des images qui se veulent les plus fidèles à son histoire.


Le parti pris est capital et conditionne tout le traitement à venir. Bruno Reidal premier long métrage impressionnant de Vincent Le Port, n’est pas une réflexion contemporaine sur les pulsions meurtrières ou un regard en surplomb sur l’origine du mal : c’est une contextualisation clinique d’un regard porté sur un homme malade. Par ceux qui cherchent à le comprendre, et, surtout par lui-même dans l’exercice de l’écriture rétrospective.


L’esthétique austère, les cadrages fixes et la photographie froide sont ainsi au diapason de la voix claire qui récite les phrases formulées à la perfection par l’écolier modèle. Bruno relate une enfance du début du siècle, dans un monde paysan dénué de tendresse, où la souffrance est à compter dans les habitudes. Tout un passé immuable investit cette culture rythmée par les travaux et une foi qui dicte au jeune garçon les interdits qui devront jalonner son parcours. Ainsi de ces longues évocations de la masturbation et de son incapacité à envisager le suicide, tandis que d’autres abymes, non prévues par le Livre, s’ouvrent sous ses pas hésitants.


La lucidité dirige ce regard sans détour : l’auditoire interroge, insiste, tente d’établir une cartographie de la pensée du condamné, tandis qu’il opère presque le même principe dans la dissection de sa propre personne. Les séquences seront donc sans concession : de la même manière que Bruno souffre de voir sans cesse reprendre la frénésie de ses pulsions, le spectateur sera contraint de le suivre dans cette temporalité répétitive et le découragement terrible d’un être qui, de résolutions en renoncements, nourrit une haine croissante à l’égard de son abdication.


La brutalité de son enfance (une mère acariâtre, une agression sexuelle, l’exposition au sang dans l’abattage des animaux) ne suffira pas à expliquer la nature de Bruno, et c’est là que se joue la partie la plus fascinante de sa confession. Son regard sur les autres élèves se nourrit d’une jalousie de plus en plus violente lorsqu’il comprend qu’ils ne subissent pas les mêmes tortures que lui. Le jeune homme apprend, dans la douleur et la désillusion, que la satisfaction d’une pulsion est de courte durée, et que celle-ci ne le calmera que peu de temps.


Le spectateur se retrouve presque aussi démuni que les professionnels qui l’écoutent : l’embarras est d’autant plus grand qu’on prend conscience que dans ce film minéral, nul n’expliquera mieux que le criminel la mécanique qui est la sienne. Et qu’il faudra peut-être l’écouter, lorsqu’il exprime son désarroi à voir l’empathie consacrée à la victime, quand il pensait par son acte atroce mettre au jour l’horreur de sa condition.


(7.5/10)

Sergent_Pepper
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films français de 2022 et Les meilleurs films de 2022

Créée

le 28 mars 2022

Critique lue 1.3K fois

54 j'aime

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.3K fois

54

D'autres avis sur Bruno Reidal - Confession d’un meurtrier

Bruno Reidal - Confession d’un meurtrier
mymp
8

Memorie of murder

C’est tiré d’une histoire vraie, comme on dit. L’histoire vraie d’une affaire, l’affaire Bruno Reidal, brutale et insondable. Ou comment, en 1905 dans un petit village du Cantal, un séminariste de 17...

Par

le 21 mars 2022

20 j'aime

Bruno Reidal - Confession d’un meurtrier
Fleming
7

Très beau, mais absolument horrible

A quoi bon exhumer cet effroyable fait divers remontant à plus d'un siècle et mettre en lumière l'acte atroce d'un séminariste de dix-sept ans travaillé de pulsions sadiques qui finalement les...

le 26 août 2022

17 j'aime

29

Bruno Reidal - Confession d’un meurtrier
susic
8

"Quand je suis tourmenté par des idées de meurtre, je suis calme et silencieux"

Le 1er septembre 1905, Bruno Reidal, jeune séminariste de 17 ans, s'accuse du meurtre de François Raulhac, 12 ans. En prison, pour tenter de comprendre son geste, le professeur Alexandre Lacassagne...

le 28 août 2022

9 j'aime

10

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

764 j'aime

103

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

698 j'aime

49

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

612 j'aime

53