Vaudeville Overdrive for your viewing pleasure

Si l'on devait pitcher ce petit film difficilement résumable tant l'heureux bazar est son argument premier, ça donnerait ça : She's Funny That Way (oublions sont titre français, ou plutôt franglais, pathétique de nullité) est l'histoire d'Izzy Finkelstein (!), une charmante escort-girl du Queens rêvant de devenir actrice (air connu), dont Arnold, un client metteur en scène de Broadway, touché par son histoire, décide de lui donner suffisamment d'argent pour l'aider à changer de vie... geste qu'il regrettera en partie quelques jours plus tard, lorsqu'Izzy viendra auditionner pour un rôle dans sa nouvelle pièce où joue, accessoirement, son épouse, le tout sous le regard d'un acteur excentrique, rêvant accessoirement de se taper cette dernière, qui pigera tout de suite le lien louche entre Izzy et Arnold... Oui, c'est un peu le bordel. Et c'est très bien comme ça.


Filer huit étoiles à une petite comédie vaudevillesque sans prétentions ni grande ambition est peut-être un peu exagérée, mais quand on tombe sous le charme d'un film, comme sous le charme d'une fille, on ne peut s'empêcher de grossir ses qualités, à plus ou moins juste titre. Et le présent film en a à revendre, du charme, d'autant plus qu'il émane… à la fois d'un peu rien et d'un peu tout. Un charme insaisissable, en somme ?


Parce que oui, autant l'avouer de façon la plus claire possible : She's Funny That Way ne raconte absolument rien de neuf ni d'original. Et quand on dit « rien », c'est « RIEN ». Ou bien c'est une façon de parler, puisqu'un contre-exemple nous vient soudain en tête, celui de la psychanalyste énervée, compagne de l'auteur de la pièce… mais c'est le seul, ce qui en fait une exception. Donc tout rentre dans l'ordre, c'est bon : de loin, et à une dérisoire exception, le film peut donner l'impression d'avoir déjà été vu mille fois. Seulement, une autre chose apparait très clairement : SFTW n'a pas été fait par des manches. Son réalisateur, l'insaisissable esthète Peter Bogdanovich (The Last Picture Show, quand même), n'y raconte peut-être rien de neuf, mais d'une part, il le sait, et d'autre part, il ne le fait comme personne.


Et parce que le cinéaste l'a entièrement assumé, courant de ce fait le risque de s'attirer les foudres des plus blasés et des esprits chagrins, l'apprécier à sa juste valeur exige d'être tolérant envers sa démarche même : distraire autant qu'il s'est amusé. Ne pas chercher plus loin. Parce que Manhattan et sa fringante folie, l'héroïne craquante d'ingénuité et un peu fantasque sur les bords, la musique jazzy, la mixture familière de loufoque et de désabusé, et Owen Wilson tout droit sorti de Midnight in Paris, on se sent obligé de scruter le cadre à la recherche du petit Juif à lunettes, et d'attendre le nouveau Annie Hall ; faut pas. Parce que Bogdanovich répand généreusement dans son film son amour d'Ernst Lubitsch, jusque dans son découpage et certaines répliques texto, on se sent obligé d'attendre le nouveau Trouble in Paradise ; à éviter. On croisera également les fantômes de Capra, Hawkes et Sturges... mais notre passage le fera sourire plus qu'autre chose, à n'en pas douter.


Seules deux choses comptent : d'abord, embrasser la nature de « screwball comedy » de SFTW et la science du vaudeville poussé jusqu'à l'absurde (« A city of eight million people and everybody knows everybody ! ») qui constitue son moteur « dramatique » principal, expliquant que l'on accueille les coïncidences avec plaisir alors qu'on trouverait ça abusé dans un tout autre film. Ensuite… la condition sine qua non d'en apprécier tous les composants, ou presque. On pourra toujours répondre « sans déconner, René ? », mais c'est plus nuancé que ça, Mufasa : la comédie de Bogdanovich, succession de quiproquos et de coïncidences enchaînés avec un grand sens du timing serré au cœur d'un microcosme de bourgeois hystériques, compte tellement sur ses détails truculents (bien plus que sur son ensemble-prétexte) qu'un personnage ou une scène impopulaire y auraient fait plus de dégâts qu'à la plupart des autres films. Fort heureusement, l'auteur de ces lignes décide que tout y est formidable, de l'hilarante psy plus névrosée que ses patients (Jennifer Aniston ENFIN dans un rôle à sa mesure) au duo burlesque formé par le vieux juge obsédé (Austin « L'Aventure Intérieure » Pendleton !) et le vieux détective privé accessoirement déguisé en rabbin (sommet de n'importe quoi), en passant par l'inénarrable Rhys Ifans en star hollywoodienne qui ne pense qu'à « ça », la prostituée ukrainienne qui ne comprend rien, les crises d'hystérie de l'épouse Simmons, Richard Lewis en père alcoolique... et, last but not least, la merveilleuse (en plus d'être magnifique malgré la grande bouche et le regard un peu fou) Imogen Poots. Quand un film base l'essentiel de son charme sur celui de son actrice principale, il a sacrément intérêt à choisir la bonne ; et sur ce plan, Bogdanovich a assuré au moins autant que Woody Allen avec Evan Rachel Woods pour Whatever Works : formidable en rêveuse un peu gourde, Poots illumine le celluloïd, usant son minois charmeur comme un six coups qui ne rate jamais (on n'ose imaginer ce qu'aurait donné la bien moins lumineuse Brie Larson, prévue à l'origine dans ce rôle). Elle emballe même l'auditoire au point d'insuffler, à quelques reprises, un peu d'émotion à un spectacle globalement inconséquent. Après tout, n'a-t-elle rendu tolérables des films ratés comme le remake de Fright Night, A Very Englishman, et A Long Way Down ?


« Un film autrement inconséquent » : oui, SFTW est un film éminemment frivole. Spoiler alert : le fait qu'Izzy ne finisse, à la fin du film, ni avec Arnold Albertson (Owen Wilson, fidèle à lui-même), ni même avec le bon gars Josh (Will Forte), en fait une anti-romcom par excellence, ce qui ajoute à son charme déjà fou. En entendant Wilson déclamer, alors que lui et Izzy sont encore au pieu, son discours émancipateur sur la liberté de « donner des écureuils aux noix plutôt que des noix aux écureuils » si elle en a vie, le spectateur ignorant de l'emprunt tombe, comme Izzy, sous le charme du blond fougueux. Ding, try again : toute cette tirade vient d'un putain de film. Et au lieu de simplement le signaler au détour d'une conversation, Bogdanovich se permettra carrément de passer, durant le générique de fin, la scène du génial Cluny Brown où Charles Boyer sort cette réplique géniale. Mêmes animées de sentiments forts, les relations entre hommes et femmes ne sont qu'un jeu, qu'il ne faut pas prendre avec TROP de sérieux, car chacun a sa façon d'y jouer. Albertson ment aux call-girls en faisant croire à chacune d'entre elle qu'il en est tombé éperdument amoureux, qu'il n'a jamais connu une fille pareille, ce pour justifier la coquette somme dont il lui fait cadeau pour l'aider à changer de vie ; oui, c'est un menteur ; mais le bien qu'il fait ne compte-t-il pas davantage que la façon dont il s'y est pris ? Certains ont plus besoin de romantisme que d'autres. L'important est de bien jouer. À la fin [spoiler alert ! 2], on voit qu'Izzy a appris avec les meilleurs lorsque son boyfriend Quentin Tarantino vient la chercher. Est-ce l'amour fou ? Sans doute pas. Mais ils ont l'air de bien s'amuser (en espérant qu'Imogen n'ait pas de problème avec les fétichistes).


Vu sous cet angle, She's Funny That Way apparait tel qu'il est : une généreuse heure et demi de préliminaires comiques menant régulièrement à des mini-décharges de n'importe quoi où tout le monde s'en donne à cœur joie. C'est sans doute la meilleure comédie de Bogdanovich – et un de ses meilleurs films – depuis son génial What's Up Doc ?, avec Ryan O'Neal et Barbra Streisand. Plus de quarante ans ont passé, et l'énergie est toujours là, servant un bel hommage à un genre de comédies qui devrait l'accueillir avec satisfaction.

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le 29 avr. 2015

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