Bright
5.1
Bright

Film de David Ayer (2017)

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Il y a toujours quelque chose de fascinant à regarder une bonne grosse daube. Certaines rendent tristes, beaucoup déçoivent, mais la bouse de compétition se distingue en ce qu’elle soulève un intarissable flot de questions.


Par exemple :


À quoi David Ayer a-t-il pensé lorsqu’il a signé sur la foi de ce scénario ?
S’est-il dit : « Mais c’est de la merde ! C’est tout moi, ça ! Quand je repense à mes états de service et le très décrié Suicide Squad, on peut estimer que se dessine ici une véritable continuité dans l’abomination visuelle, une ligne éditoriale du blockbuster qui tache ! »


Le scénariste s’est-il pris au sérieux ?
Jusqu’où peut-on mesurer son degré de sincérité ? Doit-on lui laisser l’alibi de l’opportunisme (en gros, je prends un cop film à la End of Watch + Le Seigneur des anneaux + Buffy + Charmed et je mixe, en ratissant bien large, on va fatalement finir par tomber sur des spectateurs comblés) ou se fout-il vraiment de notre gueule ? Passé un prologue plutôt sympathique, qui se contente d’exposer les règles de ce monde parallèle par le biais de fresques murales, c’est la dégringolade du charabia sans fin et situations réglementaires (tu meurs mais non, la méchante est morte mais non, tu es pas mon ami mais si, t’es pas un bon flic mais si, tu penses à ta gueule mais tu te sacrifies, etc., etc., etc.)


La magie est-elle le Smecta du récit ?
Prophétie, bassins connectés, Bright, Dark Lord, Orques adoubés, baguettes magiques, Iluminati, Inferni : dans un monde parallèle, tout est possible. On invente les règles au fur et à mesure, et la façon de s’en affranchir. Autant dire que le spectateur se contrefout d’à peu près tous les développements du récit.


L’humour est-il le poppers du mauvais film ?
We’re not in a prophecy, we’re in a stolen Toyota Corolla. Chaque fois que le ridicule atteint un sommet (et il est dans ce film un alpiniste de compétition), la vanne et la dérision permettent, (du moins est-ce là l’intention des créateurs) de faire passer la pilule. Après tout, c’est fun, n’est-il pas ? Si comme nous, vous trouvez que tout ce qu’on vous inflige est déraisonnable, plutôt que de pleurer du sang, vantez-en les mérites par un mépris sarcastique.


Où est passée la fierté du casting ?
Que Will Smith fasse un film mêlant le WTF de Men in black et la testostérone de Bad Boys n’a évidemment rien de foncièrement choquant. En réalité, au vu de sa filmographie, plus rien ne peut nous choquer de la part de Will Smith. En revanche, on a plus de mal à saisir l’intérêt d’un comédien du talent d’Edgerton (sublime, par exemple, dans Loving) de se voir grimé de la sorte au profit de répliques aussi insipides. Quand on y pense, c’est peut-être là une stratégie : au moins, son visage n’apparait pas et ce sera toujours plus facile pour faire oublier ce faux pas.


La musique est-elle le surligneur fluo du spectateur blasé ?
Tout est dans la question. Le compositeur aura eu au moins le mérite d’un exploit : proposer une partition qui semble pompée sur toutes les autres, et qui néanmoins s’impose à coups de râteau rouillé à l’auditeur.


À quoi tient la singularité Netflix ?
On serait tenté de dire que ce blockbuster raté est tout aussi mauvais que ceux qui sortent en salle. Mais c’est sans compter sur la sauvage déclaration d’indépendance du network, qui montre haut et fort que son produit n’est pas soumis aux mêmes règles de classification. Pour ce faire, rien de plus simple : mettez « fuck » dans toutes les répliques, des bars à strip-tease et des égorgements au doigt.


Je me suis souvent demandé pourquoi les spectateurs regardaient les émissions de télé réalité. En en voyant des extraits dans « Vu », le zapping de France 2, je crois avoir trouvé une réponse : les gens apprécient cette bassesse parce qu’elle leur permet de se sentir supérieur à quelqu’un. Les candidats sont les nouveaux boucs émissaires de l’époque : ils portent sur eux la médiocrité du monde. Au point, évidemment, que les producteurs scénarisent leur bêtise pour satisfaire des voyeurs avides d’infériorité. (Dans le dernier extrait, une candidate affirmait « C’est l’hôpital qui se fout de la charcuterie » : il est évident que cette sortie était écrite, et non spontanée. Si l’on pousse la réflexion plus loin, les monteurs de « Vu » devraient d’ailleurs boycotter ces shows et ne pas tomber dans le panneau)


Les mêmes questions se posent face à Bright : le bashing est peut-être devenu lui-même un argument marketing : il s’agit d’aller vérifier si la bouse est à la hauteur de nos attentes fébriles.


Et je me suis donc fait avoir.

Sergent_Pepper
2
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le 31 déc. 2017

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Sergent_Pepper

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