Brazil, film de l’ancien Monty Python Terry Gilliam (Las Vegas Parano ou encore l’armée des 12 singes), réalisé en 1985 son premier grand film (et même le plus grand de sa carrière ?), relate l’histoire d’un dénommé Sam Lowry employé au ministère de l’information dans un Etat totalitaire et qui rêve pour échapper à sa vie monocorde entièrement oppressé par cette entité, mais suite à une grossière erreur administrative sa vie va basculer …


J’avais vu ce film pour la première fois en fin d’année dernière (2012) dans le cadre d’un cours sur les Etat totalitaires de l’entre deux guerres, et grand fan du roman 1984, du meilleur des mondes d’Aldous Excley et de cet « univers » en général, en plus des très bonnes notes que j’avais vu à propos de ce film, je m’attendais vraiment un film extra, hors au premier visionnage j’avais été un peu déçu (bon j’avais tout de même mis 7 au film) par ce côté un peu « second degré », « humoristique », bref quelque chose de beaucoup moins direct et dur que dans George Orwell par exemple. J’avais donc décidé il y a quelque temps de le revoir pour voir si mon avais aurait évolué. Et bien je peux dire que oui, j’ai en quelque sorte redécouvert le film, en comprenant et analysant plus d’éléments auxquels je n’avais pas fait attention lors de mon premier visionnage.


Je me suis encore plus rendu compte de tous les aspects en commun avec un régime totalitaire traditionnel (Italie mussolinienne, Allemagne nazie, Russie Stalinienne (surtout) comme principaux exemples, mais pourrait citer aussi le régime khmer rouge ou la chine maoïste) et les fortes ressemblances (logiques) avec l’œuvre majeure de George Orwell 1984, et qui font réellement de ce film un véritable chef d’œuvre de dystopie.


On est frappé dans ce film par le processus de déshumanisation de l’individu qui n’est plus rien tout seul, on voit notamment cela lorsque Sam accède à niveau supérieur dans la hiérarchie et qu’on lui présente son nouveau bureau et que sur sa porte n’est pas marqué son nom mais un numéro, le voilà devenu un matricule. On perçoit aussi cela au moment où Lawry appel les secours pour signaler la place de son appartement, contrairement à la réalité il n’a pas vraiment d’adresse propre mais plus une multitude de numéros qui en quelque sorte déshumanisent son habitat, en plus de sa personne (exemple fictif : j’habite appartement X65 dans le bâtiment CG643 de la rue 36 après le pont 45). De même que les rares autres personnes que l’on croise comme sa mère et son amie, qui en quelque sorte refusent de vieillir et essaye à tout prix de garder une peau jeune marque rejoignent cette idée, d'une fuite de leur caractère humain.


Un autre élément important est le fait de montrer un individualisme exacerbé, où chacun fait essentiellement attention à sois et ne porte que peu d’intérêt à ses congénères, et j’ai ici au moins deux exemples qui m’ont frappé, en particulier la scène de l’attentat (ou accident) dans le restaurant où Sam, sa mère et son amie restent à manger et à bavarder tranquillement après l’explosion et à côté de gens blessés sans leur accorder un seul regard. L’autre passage qui montre cela est l’instant où Sam va voir son ami « médecin » pour lui demander un service et qu’il aborde le sujet des enfants et son « ami » ne sait même plus combien il a d’enfants et comment s’appelle celui qui est avec lui… Individualisme aussi visible dans la scène qu’a Sam avec son voisin de travail qui ne veut pas lui laisser utiliser sa machine même si il ne l’utilise pas.
On voit aussi à travers certaines scènes le rôle de l’administration qui est omniprésente dans l’univers créé par Terry Gilliam, une bureaucratie pervertie, la face sombre d'un système Wébérien en somme, à travers notamment la scène où est évoquée la présence exagérée de procédures pour résoudre tout problème, toute la complexité juste pour se faire dépanner d’un problème de tuyaux, le papier qui doit être signé après l’enlèvement du mari… mais aussi à travers le bordel monstre dans les bureaux où tout le monde se bouscule. C'est un peu la zizanie d'Astérix !


Comme dans toute bonne société totalitaire l’Etat s’introduit dans la vie des gens et ceci d’une manière extrême et on constate que les seuls moment de « répit » qu'a le personnage principal est lors ce qu’il rêve, dans son sommeil. Et encore, même pendant ces moments il n’est pas tranquille et on perçoit la personnalisation de l’état totalitaire qui vient le déranger lors de ses instants, théoriquement de repos et de solitude. De même que la présence continuelle de machines et autres tuyaux peut être interprété comme une intrusion dans la vie de l’individus qui n’est en fait jamais seul.
Un des autres aspects très intéressants et bien mis en valeur que l'on retrouve dans toute bonne société totalitaire est le processus de criminalisation de la société où les individus pouvaient être accusés de tout et de rien avec de graves conséquences. Je cite ici des rapports de camps de Goulag sur la répartition des détenus : « intentions » terroristes, membres de la famille d’un traître, éléments socialement dangereux ou nuisibles, absentéisme, abandon de poste de travail…, ou encore grande période de criminalisation de la société pendant la révolution culturelle en Chine débutée en 1966 ; dans Brazil on voit que ce phénomène est même traité à l’absurde, notamment la fameux Tuttle accusé de ne pas respecter les normes de sa profession de plombier (si j’ai bon souvenir) ou encore du héros qui, une fois après avoir fuit devant un policier, voit sa situation devenir complètement burlesque, et cela atteint son paroxysme quand il est arrêté et qu’on lui fait une liste de tout ce dont il est accusé, moment complètement burlesque en vue ! (aie, répétition).


On voit aussi dans le film la violence de la société, notamment la scène où Sam va déposer le chèque à la veuve de Tuttle et ici où les enfants jouent violemment et incendie la voiture de Sam, pour montrer que dès l’enfance l’être devient violent, les adultes n'ayant plus l'apanage de cela.
On perçoit aussi dans le film à quelques endroits le sentiment de terreur que fait régner l’état sur la société, élément indispensable d’une société totalitaire, comme dirait la très célèbre philosophe (certes controversée) Hannah Arendt : « la terreur essence même du totalitarisme » ; on voit cela dès les premières scènes avec l’arrestation violente du dénommé Buttle devant sa famille et sans explications à sa femme et bien sûr en détruisant au passage l’appartement du dessus, ou encore perceptible aussi à travers les actes de tortures sur les supposés terroristes (fameux passage avec la dame qui tape automatiquement).


On peut maintenant venir après cette aspect « analyse » (parcellaire) aux caractéristiques plus terre à terre du film.
Niveau acteur c’est pas mal dans l’ensemble, la galerie de personnages est assez loufoque, le personnage principal incarné par Jonathan Pryce est vraiment excellent, par contre j’ai trouvé sa bien aimée vraiment bof avec peu d’expression, et il faut bien sur évoquer les superbes apparitions du fameux Tuttle (et non Buttle hein ?!) très humoristiques qui est joué par le cultissime Robert de Niro qui est vraiment très plaisant à voir jouer un petit rôle dans ce film après ses grandes apparitions dans Taxi Driver, le Parrain, il était une fois en amérique ou encore Raging Bull.

Un point qui peut refroidir certaines personnes est sans doute l’aspect un peu (beaucoup ?) kitch du film, qui fait sans doute un peu carton, mais bon qui moi ne m’a pas gêné plus que cela, et Gilliam n’avait peut être pas des moyens faramineux pour la réalisation de son film. Mais on ressent bien la situation de suffocation, une architecture grandiose (taille des bâtiments, peut être un clin d’œil à l’architecture massive voulue par Mussolini ?).
On ne peut pas ne pas évoquer la musique du même nom que le film Brazil qui se fait notamment entendre dans la voiture de Sam Lawry et qui est vraiment très sympathique (je ne vais pas disserter sur le rapport entre la musique et le titre du film car je ne le sais pas très bien).
Je voudrais terminer en évoquant la fin du film, de la vraie fin bien sûr, pas la version US qui a été tronquée (par les producteurs) pour ne pas « choquer » le public (fin en Happy End) et dire que la fin voulue par Gilliam est vraiment magistrale !


Et au vu des tous les films idiots que l’on peut voir, regarder une œuvre magnifique qui fait réfléchir, sur le passé, mais surtout sur le futurs… ne peut vraiment pas faire de mal alors laissez-vous tenter !


Et comme dit le proverbe : « Mieux vaut deux fois qu’une », alors n’hésitez pas à revoir ce film une deuxième fois pour comprendre tous les éléments et clins d’œil si vous pensez que cela est nécessaire.

Créée

le 20 mars 2013

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