« Elle déambulait sur les sommets vertigineux de sa gloire passée »

Sunset Boulevard est un film parfaitement maîtrisé que ce soit le jeu des acteurs, le rythme, les décors, les plans, le noir et blanc, le texte ciselé et les dialogues. Un grand film qui nous plonge dans le monde de Hollywood des années 50 et nous donne de côtoyer une star déchue du cinéma muet : Norma Desmond (Gloria Swanson) vivant désormais recluse dans sa somptueuse demeure vide.


Nous avons connaissance de l’issue du drame qui nous est montrée dès l’ouverture du film. Placé au fond d’une piscine privée, le spectateur voit le corps d’un homme mort noyé, et penchés au-dessus de lui, sur le bord de la piscine, les silhouettes des policiers. Image saisissante. C’est cet homme noyé, Joe Gillis (William Holden) qui nous raconte son histoire en remontant quelques mois plus tôt et en déroulant pour nous les événements qui l’ont conduit à cet instant fatidique pour lui.


Jeune scénariste sans le sou, bataillant à Hollywood pour vendre ses scénarios, se heurtant à des refus et à un manque de solidarité sans aucune pitié quand il se trouve en difficulté financière, Joe finit par tomber entre les griffes de Norma Desmond qui en fait son compagnon. Désormais, finis les soucis d’argent : il est entretenu, mais à quel prix ! Il perd toute liberté et passe son temps avec une femme âgée de plus de 20 ans que lui, vivant dans les fantasmes de son passé qu’elle croit toujours réel : « Elle déambulait sur les sommets vertigineux de sa gloire passée ». Sa demeure est à son image : une somptueuse maison, au style suranné et dans chaque pièce, sur tous les murs, sur tous les meubles, des photos et des portraits de Norma. Elle ne vit que dans le « moi » de sa jeunesse lorsqu’elle était célèbre et adulée. Elle projette des films dans lesquels elle était la vedette et elle se contemple sans se lasser. Elle se comporte en véritable star : son sourire est celui d’une vamp, sa démarche est impériale et son comportement impérieux. Elle a un seul rêve qui la hante jour et nuit : son « retour ». Elle vit pour ce grand moment, pour ces retrouvailles avec son public auquel elle ne cesse de penser : « elle continuait à saluer un public qui l’avait désertée depuis longtemps ». A ces côtés un fidèle domestique, Max qui entretient le rêve et l’illusion avec une fidélité qui étonne. Il faudra attendre la fin du film pour en apprendre davantage sur sa véritable identité…


Tandis que la relation entre Joe malheureux prisonnier et cette star déchue nous est racontée, résonnent de grands noms de l’époque du muet dont certains ne sont connus aujourd’hui que des cinéphiles tels : Mabel Normand, l’une des toutes premières stars du cinéma burlesque, Mack Senett ou des noms plus connus comme : Griffith, et De Mille qui joue ici son propre rôle. Certains de ces grands de l’époque font un caméo tel Buster Keaton le temps d’une courte séquence. Et bien d’autres encore …


Le rêve de Norma finira par se réaliser, elle retrouvera les caméras et radieuse elle s’écriera : « C’est toute ma vie, pour toujours. Il n’y a rien d’autre. Rien que nous et les caméras et tous ces gens merveilleux assis dans le noir », tandis qu’on la regarde avec tristesse, enfermée dans son monde intérieur qu’elle projette autour d’elle, devenue incapable de communiquer avec la réalité.


Sunset Boulevard est un film noir d’une grande force qui fait de nous les spectateurs impuissants du drame d’une femme. Drame vécu par de nombreuses stars de l’époque du muet jetées aux oubliettes au moment du passage au parlant. Mais drame vécu également par des gens ordinaires qui restent enfermés dans leur passé et leur jeunesse, incapables de saisir la richesse contenue dans chaque âge de la vie. Un drame psychologique d’une grande force. C’est également un film qui fait la critique lucide du monde de Hollywood, monde sans pitié qui crée et oublie ses stars, qui est basé sur le paraître, la beauté, la jeunesse, l’argent.

Créée

le 1 oct. 2022

Critique lue 106 fois

14 j'aime

15 commentaires

abscondita

Écrit par

Critique lue 106 fois

14
15

D'autres avis sur Boulevard du crépuscule

Boulevard du crépuscule
Docteur_Jivago
10

Le crépuscule Hollywoodien

C'est en 1950 que Billy Wilder met en scène Sunset Boulevard, nom tiré de la célèbre avenue de Los Angeles où l'on trouve les villas des stars hollywoodienne. Dès 1950, c'est pourtant un boulevard...

le 13 avr. 2014

69 j'aime

16

Boulevard du crépuscule
DjeeVanCleef
10

La voix de l'oubli

Juste pour dire... Le conte macabre de Billy Wilder exerce sur moi une fascination quasi masturbatoire. Il me tend, il m'habite, j'en suis tout secoué rien que d'y penser. Et quand je le vois, Dieu...

le 16 janv. 2017

59 j'aime

17

Boulevard du crépuscule
palouka
10

"Une femme pardonne tout, excepté qu'on ne veuille pas d'elle"

Joe Gillis, scénariste raté aux abois, atterrit chez Norma Desmond, alors qu'il est poursuivi par des créanciers. Lorsqu'il pénètre pour la première fois dans la demeure de celle-ci, il songe au...

le 6 août 2011

53 j'aime

5

Du même critique

La Leçon de piano
abscondita
3

Histoire d'un chantage sexuel ...

J’ai du mal à comprendre comment ce film peut être si bien noté et a pu recevoir autant de récompenses ! C’est assez rare, mais dans ce cas précis je me trouve décalée par rapport à la majorité...

le 12 janv. 2021

56 j'aime

20

Le Dictateur
abscondita
10

Critique de Le Dictateur par abscondita

Chaplin a été très vite conscient du danger représenté par Hitler et l’idéologie nazie. Il a été l’un des premiers à tirer la sonnette d’alarme. Il commence à travailler sur le film dès 1937. Durant...

le 23 avr. 2022

33 j'aime

22

Blade Runner
abscondita
10

« Time to die »

Blade Runner, c’est d’abord un chef d’œuvre visuel renforcé par l’accompagnement musical mélancolique du regretté Vangelis, les sons lancinants et les moments de pur silence. C’est une œuvre qui se...

le 15 janv. 2024

32 j'aime

19