Dans ce qui a tout l'air d'un faux documentaire, Sacha Baron Cohen interprète Borat, soi-disant journaliste TV kazah qui apparait vite comme une caricature trop énorme pour être crédible (et qui en devient donc réellement drôle -- car qui oserait rire de tout un peuple sinon?).
Borat parti aux États-Unis pour son reportage, le film prend alors un tournant beaucoup plus intéressant, même si toujours aussi drôle : entre le "Candide" de Voltaire et "Les Lettres Persanes" de Montesquieu, Borat met à mal l'Amérique profonde en jouant avec ses tendances les plus extrêmes, le tout avec une naïveté si naturelle qu'elle confond sans cesse ses interlocuteurs interloqués. Mais le pire est de voir qu'ils ne sont pas toujours si choqués, et qu'ils adhèrent même parfois aux propos pourtant outranciers de Borat (racisme, sexisme, xénophobie...).
Car comme dans tout bon documentaire, même faux, ce qui compte est le dispositif : pour ce film, Sacha Baron Cohen a tenu son rôle pendant une très longue période (plus de 400 heures de rushes ont été tournées), incarnant réellement son personnage et le confrontant à des personnes au courant de rien (grâce à la bonne excuse du reportage pour la télé kazakhe -- comme quoi, la caricature pourtant énorme parait crédible aux yeux de certains américains). Il continuera d'ailleurs à le jouer pour la promo du film (festivals, plateaux de télévision, tapis rouges, interviews...), faisant comme s'il vendait son reportage kazakh. Sacha Baron Cohen, le meilleur descendant d'Andy Kaufman...
En un sens, on pourrait rapprocher le travail de Cohen à celui des Yes Men (qui ont fini par faire 2 films), 2 hommes connus pour leurs interviews de politiciens ou PDG (Cohen a d'ailleurs développé ses personnages -- Borat, Ali G, Bruno -- dans des interviews de célébrités pour la TV anglaise), les piégeant en caricaturant leurs opinions et méthodes d'hommes de pouvoir (ils se sont par exemple fait passer pour des économistes libéraux appelant les partis à acheter les voix des citoyens) -- en France, l'équipe de "Action Discrète" sur canal+ joue clairement sur le même créneau.
Pour définir ce type d'actions satiriques, les anglo-saxons parlent de "culture jamming", alors qu'en France on parle plutôt de "détournement culturel" (en référence à Guy Debord), un procédé consistant à utiliser et caricaturer les mass media à des fins ironiques.
Ce genre de procédés appelle forcément à de nombreuses controverses. Ainsi, de nombreux participants du film se sont plaint d'y figurer (mais comme ils avaient tous signé un contrat pour ça, leur plainte est tombée à l'eau), et de nombreuses personnes ont par ailleurs critiqué la mauvaise image donnée du Kazakhstan, des gitans, etc. Même quand le contexte d'un film incite fortement à une lecture au second voire au troisième degré, il y aura toujours des gens pour se sentir directement visé par des blagues de mauvais goût... Certains ont même accusé le film d'être antisémite, alors même que le réalisateur Larry Charles et que Cohen sont juifs (pas qu'on ne puisse être juif et antisémite, mais en l'occurrence Cohen est très pratiquant...), et que Borat parle hébreux quand il est supposé parler kazakh dans le film.
Par contre, on pourra toujours dire que le film est vulgaire et obscène, mais c'est justement là tout son intérêt : balancer sur le devant de la scène des choses cachées, refoulées, dans la plus grande tradition d'un Grand Guignol sans gêne ni retenue.

youli
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le 1 nov. 2011

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youli

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D'autres avis sur Borat : Leçons culturelles sur l'Amérique au profit glorieuse nation Kazakhstan

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