Si les débuts de Luca Guadagnino au cinéma furent plus modestes et moins célèbres (« Amore » et « Bigger Splash » nous avaient moins convaincus), il réussit une sacrée passe de trois avec ses trois derniers films. Et encore une fois il nous procure une sacrée expérience de cinéma qui ne ressemble véritablement à rien de connu. Son chef-d’œuvre magnifique « Call me by your name » nous avait retourné le cœur et aiguisé l’esprit par son romantisme teinté de mélancolie et cette passion incandescente entre deux êtres tandis que son remake ultra clivant de « Suspiria » nous avait également retourné le cœur, mais différemment, aussi bien que le bide par son atmosphère horrifique malaisante et ses effusions gore incroyables. Ici, « Bones and all », est tout aussi réussi et semble être la synthèse des deux œuvres citées précédemment. Une part d’horreur et de gore se bataillant sans cesse avec les sentiments et la romance dans un mélange osé, rare et original qui nous étreint le cœur mais nous approche parfois de la nausée par la condition de ses personnages principaux : des cannibales.


Avec un sujet pareil, on aurait pu tutoyer le grotesque. Le cinéaste aurait pu aussi virer dans le sentimentalisme niais ou la provocation gore et sanglante facile. Et bien ni l’un, ni l’autre, car tel un équilibriste, il marie ces deux genres et ces deux sensibilités à merveille, aucune ne prenant jamais le pas sur l’autre. « Bones and all » a en plus la bonne idée de dérouler son script dans le passé au sein de l’Amérique profonde. Et en plus d’inscrire sa romance cannibale dans le genre ultra balisé du road-movie au pays de l’Oncle Sam. Un sous-genre dans le genre donc, qu’il transcende sans cesse alors que c’est son premier tournage américain. Il a digéré comme personne cette vision des USA que le cinéma nous a tant offert. Les paysages des États les plus profonds (Kentucky, Missouri, Nebraska, ...) traversés durant les golden years (les années 80) sont ici sublimés. La photographie est magnifique et on ne compte plus les fulgurances visuelles dues à des paysages magnifiques et un aspect vintage du meilleur effet. Quant au fait de placer sa caméra parmi les laissés-pour compte de l’Amérique durant cette période dorée a quelque chose de frappant, encore aujourd’hui.


Parabole sur le SIDA peut-être, comme certains le pensent pour de nombreux films de vampires, métaphore sur la notion de différence ou simple échappée belle sanglante et romantique à la « Thelma et Louise », la pellicule imprime son ambiance singulière sur notre rétine et on suit durant plus de deux heures cette bluette pas comme les autres au rythme de rencontres et de péripéties toujours passionnantes. On a un peu peur au début, le premier quart d’heure en fait, car c’est lent et on se demande ce que cela va nous raconter mais c’est vite oublié. Seul vrai petit bémol, Mark Rylance dans un rôle où il excelle encore une fois fait partie d’une sous-intrigue intéressante mais auquel le final donne trop d’importance, et une importance pas forcément nécessaire. Cela aurait même pu s’arrêter dix minutes avant. Sinon le couple formé par un Chalamet encore une fois pleinement investi et la jeune Taylor Russell (aussi charmante que dans le chef-d’œuvre méconnu « Waves ») est pour beaucoup dans la réussite de cette œuvre entre horreur malaisante et amour intense. Une passion dévorante en somme qui nous enchante et confirme Guadagnino comme un immense cinéaste. Et petite anecdote : il est étrange de voir l’italien réaliser un film avec des cannibales quand l’autre star de « Call me by your name », Armie Hammer, dont il devait faire la suite a été arrêtée pour soupçon de... cannibalisme!


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JorikVesperhaven
8

Créée

le 26 nov. 2022

Critique lue 37 fois

Rémy Fiers

Écrit par

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