Woody Allen nous a toujours habitué aux hauts et aux bas, au chaud et au froid, au flux et au reflux. A l’agréable et idéaliste Midnight In Paris a succédé l’ignoble et indigne To Rome With Love qui a lui-même précédé à Blue Jasmine. Woody vieillit c’est vrai, Vicky Christina Barcelona avait été salué justement parce-qu’il sentait le film de jeune homme alors qu’on pouvait tout aussi bien y voir le film d’un vieux vicieux. Blue Jasmine s’éloigne pourtant de ces histoires de capitales européennes et de sex-appeal pour revenir aux fondamentaux de son cinéma que sont les personnages torturés, les relations humaines et la satire de haute volée.

Jasmine a été adoptée mais a toujours cru qu’elle méritait ce qu’il y avait de mieux dans sa vie, peut-on y voir une forme de revanche ? Allez savoir. Sa demi-sœur a aussi été adoptée, elle est en revanche convaincue que, faute de gênes adéquats, elle est destinée à la médiocrité sous toutes ses formes : mauvais job, mauvais appartement, mauvais enfants, mauvais mari. Jasmine a elle épousé un riche voyou qui s’est avéré être un escroc de Wall-Street. Arrêté par le F.B.I., il finit par se suicider, laissant sa belle dans une panique totale et sans un dollar en poche, ou presque. Prise au dépourvu, Jasmine se réfugie dans le taudis de sa sœur qu’elle a magistralement ignorée pendant des années. Son espoir ? Rebondir, faire des études, trouver un autre homme qui saura prendre soin de son compte en banque. La cohabitation entre Jasmine, sa sœur et l’univers de celle-ci va se révéler compliquée (voir impossible) et souvent très amusante à déguster.

Woddy Allen retrouve de la verve, de la sagacité, des dialogues qui font mouche, et qui parfois font mal. Il redevient ce directeur d’acteurs qui a souvent su transformer des tacherons du cinéma en comédiens véritables, même s’il s’entoure ici de grandes professionnelles. Sally Hawkins est parfaite en sœur gênée d’ouvrir ses bras à celle qui se prétend si supérieure, sorte de Marge Simpson en chair et en os avec un portefeuille vide mais avec une âme bien remplie. Pour lui donner le change, Cate Blanchet tient ic le rôle le plus épuisant de sa carrière, celui d’une femme déshonorée et aux abois, alternant les phases d’hystérie, de crises de larmes, de désespoir et de renouveau. Ma libido vous dira que cette femme est d’une beauté fulgurante et qu’un simple tailleur suffit à faire d’elle la reine du bal, mais le cinéphile y voit une actrice au sommet et beaucoup moins figée que dans son rôle de Galadriel. La prestation d’Alec Baldwin est rassurante, lui qui avait paru au bord de l’étouffement sous ses kilos en trop dans To Rome With Love, semble trouver ici un second souffle qui nous ramène à ce qu’il pu être dans Alice, fringuant et d’une classe folle.

Ce film est vif et enjoué, les dialogues sont acerbes et constituent le film de Woody le plus grinçant depuis fort longtemps. Il s’en prend à tous ces êtres qui se surestiment, mais aussi à tous ceux qui se sous-estiment bref, ceux qui ne se connaissent pas à leur juste valeur. Tout y passe : la finance, l’adultère, l’oisiveté, l‘opportunisme, toutes ces formes de tromperies qui pourrissent les rapports humains mais sans lesquels il n’aurait pas matière à de si bons films. Blue Jasmine est une réussite authentique, mais suivant la logique du flux et du reflux, on peut s’attendre au pire pour sa prochaine œuvre.
Jambalaya
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le 10 janv. 2014

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Jambalaya

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