La vie sans la vue

Avis sur Blind

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Pour son premier film, Eskil Vogt, scénariste de Joachim Trier et du très beau Oslo, 31 août, s’offre un sujet en or. Potentiellement passionnant mais particulièrement casse dent. Retranscrire la cécité sur grand écran, par l’intermédiaire d’Ingrid, professeure mariée, dont la vie a été bouleversée par la perte de la vue.

L’entrée en matière est passionnante dans sa façon de retranscrire la vie sans la vue. Cloîtrée chez elle, par peur, par honte, ou un peu des deux, Ingrid essaye de se souvenir de certaines formes simples, basiques. Un arbre et ses feuilles dansant au rythme du vent, un chien trempé aux poils dégoulinant ou encore les couleurs les plus élémentaires. Les lieux eux sont plus compliqués à se remémorer. Pour représenter l’absence de vision, Eskil Vogt fait le choix intéressant de ne filmer que de très gros plans, coupant tout ce que l’on voit à l’écran de son environnement, proche et lointain. Tout ce qu’elle touche pour se repérer, se déplacer, se diriger du reste des pièces où elle se déplace. Toutes les expressions de son visage des bruits qui l’entourent, qu’elle essaye d’identifier, de localiser, de se représenter. Bruitages amplifiés, dont on ignore, nous aussi, l’origine et qui nous poussent à essayer d’en identifier la source et la signification. Qui nous poussent à réfléchir, à projeter, à imaginer. Comme Ingrid.

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Face à cette condition qui l’a coupé du monde, de son monde, celui qu’elle s’était construit, elle va en bâtir un autre, en se recroquevillant dans son esprit. Ingrid ne vit pas cloîtrée dans son appartement mais dans sa propre tête, dans le monde de ses pensées. Un monde imaginaire gravitant autour de son mari, dont elle imagine la vie en dehors de son appartement et de deux personnages de sa propre création. Un monde imaginaire dans lequel elle va projeter toute ses peurs, toutes ses craintes, toutes ses angoisses. Un monde imaginaire dans lequel le jeune réalisateur danois va perdre pied, au côté de sa charmante héroïne, et diluer tous les bonnes idées du premier quart d’heure dans un flot de banalités. L’idée est pourtant bonne, comment le handicap peut-il être surmonté par la force de l’imagination ? Mais l’imagination d’Ingrid n’est pas bien novatrice, les tromperies de son mari, la jeune mère divorcée avec garde internée complètement isolée, l’homme solitaire qui assouvit ses pulsions sexuelles grâce à la merveilleuse diversité des sites pornographiques et la magie des sites de rencontres. Malgré quelques moments d’humours décomplexés et une réalisation douce, parfois poétique, cette énième relecture de la solitude de la vie citadine contemporaine éclipse le sujet et le postulat de base. Pourtant passionnant.

Le cul entre deux chaise, Eskil Vogt glisse lentement de chacune d’entre elles, jusqu’à ce que l’inévitable se produise. Il n’a plus aucune prise, ni sur l’une, ni sur l’autre, et fini par se casser la gueule, l’arrière-train gentiment amorti par sa belle réalisation.

On passe un bon moment, on réfléchit, on est touché, on rigole aussi, parfois. Mais on ne peut s’empêcher d’être profondément déçu, encore marqué par la grâce simple et sincère des premières minutes, dont l’ombre écrasante plane ensuite sur chaque développement, chaque situation, chaque plan.

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