Comment réussir une suite quasi-impossible en 10 leçons

Le film Blade Runner de 1982 est le genre de film auquel on ne peut échapper lorsque l’on est un tant soit peu attaché à la SF, ce que je suis depuis tout jeune. Sans dire que je suis passé à côté du chef d’œuvre de Ridley Scott de 1982, alors au sommet de son art, je n’ai jamais réussi à ressentir ce que beaucoup d’amis cinéphiles ont vécu. Je n’ai donc jamais eu d’aprioris négatifs envers cette suite, encore moins quand j’ai vu le nom du réalisateur en tête du projet, Denis Villeneuve. A l’heure actuelle, il est incontestablement dans le top 2 des réalisateurs que je suis le plus et qui me passionne le plus aussi. Pourtant, bien qu’étant étranger à toute pression quelconque, il est indéniable que le projet était casse-gueule et suscitait de grosses attentes. Ainsi, bien qu’ayant trouvé le film imparfait et non exempt de tout défaut, pour lui rendre hommage je vais me lancer dans une entreprise nouvelle : nommer dix points qui rendent ce projet une réussite, dix points qui pourraient inspirer d’autres studios et producteurs afin de dénuer toute impersonnalité à leurs suites et à réussir des projets que l’on pourrait considérer comme quasi-irréalisables.


1. Une photographie splendide


La photographie de Roger Deakins est une sacrée réussite. Cela s’aperçoit dans les bandes annonces, je peux dorénavant dire que cela se confirme au cinéma. C’est une expérience dont il faut absolument profiter dans les salles obscures, bien que je reste persuadé que devant un écran d’ordinateur le visionnage reste plus qu’agréable. Les couleurs sont magnifiques et cela donne une vraie profondeur et des images iconiques. En outre, il y a certains plans larges qui donnent une belle perspective à ce monde froid, mais terriblement attrayant. J’ai eu du mal à cacher mon émerveillement devant une telle beauté visuelle.


2. Une réalisation de qualité


Exit les réalisations impersonnelles et sans faveur des Yes-men, ici on a droit à un vrai réalisateur de qualité avec un talent à revendre. On a des idées de réalisation que je trouve brillantes, comme par exemple dans les premières scènes où l’on suit le personnage principal interprété par Ryan Gosling. Elles sont sombres mais parfaitement lisibles. L’ambiance proposée par Villeneuve est superbe et sans être copiée sur le premier volet, elle lui est d’une grande fidélité. J’ai aussi adoré le moment


Joi (Ana de Armas) tente de toucher Joe (Ryan Gosling) en utilisant une autre humaine. C’est extrêmement bien trouvé et bien réalisé. Chapeau Denis.


3. Une musique envoûtante


Étant particulièrement attentif à la bande originale et à tout ce qui se rapproche de près ou de loin aux effets sonores, j’en suis ressorti satisfait. Sans aller jusqu’à dire que j’ai assisté à une révolution du genre, la musique accompagne très bien l’image et l’ambiance. Je suis incapable de dire ce qu’elle donne en dehors du film, je suis cependant partisan de l’idée qu’une BO est une réussite si elle s’imbrique bien dans l’œuvre, sans nécessairement l’écouter séparément. Or ici elle fonctionne bien et tout ce qui touche au son est particulièrement bien travaillé et modelé avec soin.


4. Une suite fidèle et cohérente


35 ans après le premier film, il n’est pas aisé de donner de la cohérence visuelle, scénaristique et narrative à sa suite. Et pourtant, quand les choix sont bons et réfléchis, il est possible de réaliser un tel tour de force. Ce film dispose d’une cohérence incroyable, dans l’ambiance comme je le disais plus haut mais aussi dans sa lenteur. En effet le film est lent et prend son temps, l’action est extrêmement peu présente. On a vraiment le sentiment de suivre la suite des aventures du premier volet, et ce n’est pas forcément le cas de films récents dont les écarts sont faibles. A tout hasard, les sagas Terminator et Jurassic Park.


5. Une mythologie respectée des personnages


En restant dans le thème de respect entre les deux films, il me semble important d’insister sur les personnages. Non seulement le personnage interprété par Harrison Ford est extrêmement bien utilisé, en le montrant peu mais à bon escient, mais les nouveaux sont aussi très bons. Les personnages de Joe (Ryan Gosling) et de Joi (Ana de Armas) sont de vraies réussites, touchants et attachants, interprétés avec délicatesse et finesse.


6. Un film à risque


Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce film nous change des productions actuelles à gros budget. Dans un monde cinématographique de blockbusters de plus en plus polissé et sans saveur, ce film est une des roues de secours qui fait du bien. Dans un tel paysage, comment ne pas se réjouir de voir un film de 2h45, presque sans action ? C’est un risque indéniable et cela fait du bien.


7. Un film qui tend davantage à la réflexion qu’au divertissement


Cette phrase est vraie et injuste en même temps, car au final on se divertit quand même, tant grâce aux superbes images, au scénario haletant et aux performances des acteurs (j’y reviendrai). Mais c’est un film, pour rester dans le thème de la prise de risque, qui amène une réflexion, une idée sur ce qu’est l’humanité et notre lien avec la technologie et nos semblables. Le message est puissant et il n’est pas simple d’accès : cela requiert une certaine mise en abîme par rapport à notre propre condition. Sans approfondir la notion de philosophie filmique de BR49, c’est extrêmement plaisant de voir ça dans un film avec un tel budget.


8. Un scénario bien ficelé


Contrairement à bon nombre de productions de son calibre, il n’est pas cousu de fil blanc et il réussit à nous intéresser malgré une progression lente de l’histoire. Le mystère demeure tout au long du film, malgré quelques indices donnés ici et là pour nous mettre sur une piste ou au contraire pour nous embrouiller l’esprit. L’histoire parvient à nous captiver de bout en bout.


9. Des défauts finalement assez proches de ceux du premier


Difficile néanmoins de ne pas évoquer certains points plus obscurs. Sans trop savoir l'expliquer, ils sont finalement les mêmes que ceux du premier film. Le rythme a du mal à monter crescendo et le film est lent au démarrage. Les dialogues, sans être mauvais, sont assez peu nombreux, on retient donc vraiment peu ce point. Enfin, bien que l’univers dépeint dans ce second volet agrandisse la mythologie autour de ce monde, je ne ressens pas cet univers assez fourni et personnel. J’aurais bien voulu voir davantage d’éléments proprement liés au monde de Blade Runner, qu’ils soient technologiques ou propres à l’Homme.


10. Des acteurs au niveau


Enfin, pour finir sur une bonne note, les acteurs sont au niveau. Ryan Gosling est décidément excellent, Harrison Ford réussit à donner un second souffle à son personnage. Ana de Armas s’en sort très bien, en plus d’avoir… un charme naturel disons. Un beau casting complété par un Jared Leto atypique mais clinquant.


Ce ne fût pas facile de donner un avis clair et concis sur ce film tant il m’a laissé avec une drôle d’impression à la fin. C’est une expérience incroyable que je conseille à tout le monde, partez néanmoins du principe qu’il faut bien savoir ce que l’on va voir. Le film est une drôle de bestiole dans un monde de moins en moins personnel. La patte artistique et visuelle de Villeneuve saura ravir les déçus des grosses productions actuelles.


Le choix pris par l’équipe technique et par Denis est osé mais selon moi payant. Le film n’aura pas que des adeptes car il propose une vraie expérience d’une grande inspiration, mais atypique. L’agenda de monsieur Villeneuve est chargé depuis plusieurs années et je n’ai plus qu’à espérer qu’il le reste encore longtemps. Car le vieux dicton #InVilleneuveWeTrust n’est pas prêt de freiner sa propension à séduire les foules.

MatthieuS
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le 5 oct. 2017

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MatthieuS

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