Je ne sais pas si Blade Runner est l’œuvre d’un visionnaire, comme beaucoup le scandent —malgré le revers révérencieux envers la nouvelle de K. Dick, mais ce qui est certain, indiscutable, juste et justifié, c’est qu’il s’agit de l’œuvre d’esthètes.


Esthètes plastiques, esthètes visuels, esthètes sonores.


Je m’interroge au passage et entre parenthèses, faisant un bon en avant dans la dernière entrée en date en matière de SF de Scott : comment cet artisan du neo-noir a pu démouler une bouillie numérique froide et aseptisée —mais surtout stérile— telle que Prometheus ? Qui s’inspirerait aujourd’hui du visuel de Prometheus, digérant lui même la décadence esthétique déshumanisée, dématérialisée et indigeste de la dernière décennie ?


Par contre James Cameron peut dire merci, Alex Proyas peut dire merci, les vaches au ski peuvent dire merci, Kennichi Sonoda peut dire merci. Verhoeven, Besson, Del Toro, Chris Carter, Mamoru Oshii, vous pouvez tous dire merci.


Merci pour l’identité visuelle, la caractérisation, les archétypes scénaristiques ou thématiques, le traitement, la pellicule de vernis artistique.


Blade Runner c’est un spleen de minuit, une lumière noire au bout du tunnel, un regard porté sur la multitude lumineuse artificielle et insignifiante, des ombres chinoises découpant de perpétuels halos glissant sur la brume électrique. L’humanité en question s’enveloppant dans la pénombre ; et la question de l’humanité qui en surgit.


Et toi tu flottes sur un tapis de notes, par dessus le futur de l’Homme, porté par des vagues synthétiques, un tapis volant sur une civilisation de nouveau tournée vers l’orient, mère primordiale. Un serpent qui se mord la queue, cet Humain.


Il se pose encore les mêmes questions : qu’est ce qui fait de nous des humains ? Sommes nous à l’image de notre créateur ? Une version dégénérée, peut être ? Sommes nous vain ?


Un instant dans le temps ?


Une larme dans la pluie ?


Dans ta gueule, l’impro. (Hauer est un poète)


Heureux hasard ou cheminement semi conscient de mon esprit, j’ai revu tout récemment Ghost In The Shell : Innocence, qui pose et étend les interrogations du premier film. Il était question du créateur et de son œuvre, extension de lui même. Tout comme le cyborg qui tend à améliorer l’humain, le replicant tend à le répliquer pour en être son outil. L’humain serait à l’image de son créateur —Dieu ?—, en aurait il hérité son imperfection intrinsèque ? Dieu ne serait donc pas parfait, puis que sa création, extension de son être, l’illustre. Sommes nous donc des rejetons erratiques, rejetés, oubliés, orphelins, déracinés, sans réponses ni explication, seuls, perdus, dilués dans le fleuve infini de la vie et du temps ? Serions nous nous mêmes des outils défaillants, délaissés et sans but, condamnés à nous dégénérer ?


GITS statuait que nous procréons pour reproduire Dieu, créant de nous mêmes de nouveaux êtres à notre image, assurant ainsi notre immortalité, une façon d’engendrer la vie (et son prolongement) artificiellement.


Blade Runner avait déjà saisi l’interrogation vive et déchirante d’un être abandonné à son imperfection et sa dégénérescence —à sa propre mortalité—, cherchant Dieu le père, ou plutôt la vérité, celle qui donne un sens à la furtivité de l’existence ; que nous cherchons pour la plupart.


La réponse du film importe peu ; et savoir si oui ou non Deckard (qui pense donc est) est un replicant est pour moi plus un leurre, une distraction amusante, qu’une finalité. Ce qui compte c’est la question : Qu’est ce qu’être humain ?


Si on veut néanmoins tenter d’y répondre, il suffit d’observer les replicants, in fine seules figures humanisées du film. Ils fuient, se cherchent, se raccrochent à leurs semblables, s’aiment et tuent, apeurés ; esclaves de leur mortalité.


Et cette mélancolie, cette profondeur simple mais abyssale, ça vous donne une âme à un film.


Vangelis tisse un réseaux de veines et d’artères, ses vagues sont autant de battements de cœur. Scott enveloppe cette âme et lui donne une chair constituée de 65 % d’eau de pluie, une chair ferme, qui ne se maquille pas dans un decorum SF mais s’en sert pour donner du grain et de la texture, Cronenweth la rend éblouissante dans l’obscurité pour mieux laisser en apprécier les éclats fugaces. Et pour finir, Mead, Trumbull, Kaplan et Paull l’habillent, inspirés par un siècle obsédé par le modernisme, aliénant, noir, désabusé.


Un film, un tableau, des questions.


Un Hopper avec des néons.

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le 7 nov. 2013

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real_folk_blues

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