... C'est celle des lumières de la ville plongée comme dans une perpétuelle nuit, éclairée des seuls flashs des néons et des enseignes publicitaires. Le bleu électrique, le vert des écailles d'un dragon, le rouge de sa langue qui s'anime en deux temps alternatifs. Cette ville tentaculaire, crasseuse, constamment arrosée d'une pluie froide est telle qu'on se l'imaginait dans les années quatre vingts : furieusement futuriste. Et qui en a gardé toute la fulgurance en 2019. Elle y mêle les influences orientales d'un autre temps, reliques et vestiges d'un passé qui persiste comme un souvenir dans un théâtre laissé à l'abandon. Cette ville, c'est aussi des bâtiments en forme d'imposantes et nouvelles pyramides égyptiennes techno, baignées par les tons orangés de son soleil couchant. Ville multiple, dénuée d'identité mais furieusement magnétique, fascinante, dangereuse, nimbée d'une ambiance inquiétante des films noirs d'un lointain passé. Encore.


... C'est celle qui anime leurs sentiments. Celle qui les fait aimer, désirer. C'est la lueur qui les attire, qui fait tomber instantanément amoureux de Pris ou de Rachael, de son visage pâle que l'on voudrait caresser, de ses lèvres rouges que l'on voudrait embrasser, de ses yeux dans lesquels on voudrait se perdre.


... C'est celle qui leur fait rechercher ce qu'ils sont, leur véritable nature, d'où ils viennent et le temps qui leur reste. Dans une quête fragile et désespérée. Une lueur qui les pousse vers quelque chose de meilleur, à dépasser leur condition d'esclave. Ce qui les fait se raccrocher à des souvenirs incertains, des photos mensongères, qui les fait jouer aux échecs. Ce qui les fait vivre dans un refuge délabré, parmi un bric à brac de mannequins inertes qui touchent, eux, à l'éternité du bout de leurs doigts figés dans un sublime paradoxe.


... C'est celle qui les font courir éperdument, plusieurs balles dans le corps, pour finalement s'effondrer dans le fracas des morceaux de verre des vitrines qu'ils ont traversées.


... C'est celle qui leur fait défier le temps et rencontrer leur créateur. Qui leur font tuer le père dans un dernier baiser, sous les yeux orangés et transparents d'un hibou synthétique.


... C'est celle qui le rend comme possédé, qui anime le désir de vengeance pour les êtres aimés qui ne sont plus, les larmes qui roulent quand on les pleure. Une douce mélancolie qui se fait jour. Cette lueur, il la regarde s'éteindre et disparaître, comme les larmes dans la pluie, alors que son essence vitale s'envole à tire d'aile. Et il ne reste plus que le corps, ramassé, recroquevillé, sur un toit de cette ville écrasante et déshumanisée.


... C'est celle qui se ravive et les fait rêver d'un ailleurs, du temps qui reste à passer ensemble, accompagnés des notes ambigües de la divine composition de Vangelis.


Cette lueur dans leurs yeux, elle n'aura jamais brillé d'un éclat aussi foudroyant que sur grand écran, comme l'éclat des boules de feu jaillissant des buses coiffant les plus hauts immeubles de ce paysage inaugural. C'est celle qui nous fait réenvisager le mythe, le chef d'oeuvre ultime. Ou une simple séquence où surgit une licorne.


C'est cette lueur dans nos yeux qui se remplissent de mille détails : la cicatrice sous la lèvre de Rick, le grain d'un maquillage blanc barré de noir et des yeux bleus qui la transpercent. Une langue qui disparaît dans la mort d'un dernier baiser.


Les yeux inondés de rouge, d'orange, de bleu, ou des lumières artificielles intrusives, nous tombons sous le charme d'une beauté plastique au firmament, d'une errance sans issue d'êtres synthétiques que nous ne pouvons que comprendre et auxquels nous ne pouvons que nous identifier : dans nos espoirs, dans nos peurs, dans leurs rêves.


Cette lueur dans leurs yeux, c'est celle qui, finalement, les rend définitivement humain.


Behind_the_Mask, More Human than Human.

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le 11 juin 2016

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