Alors.
En fait, je suis à la fois heureux et horriblement frustré.
Pourquoi heureux ? Parce que "Black Panther" est un bon film, non seulement au sein d'un MCU qui aligne les films sympathiques mais sans envergure, mais aussi un bon film tout court, un bon blockbuster.
Pourquoi horriblement frustré ? Parce que MCU oblige, Ryan Coogler s'est retrouvé limité, un peu dans ses intentions, beaucoup dans la création de son univers visuel.


Le MCU, c'est un genre de feuilleton : l'important pour le spectateur, c'est de revoir les mêmes têtes connues qui vivent leurs aventures, pas d'être plongé dans un univers crédible et avec un réel cachet visuel. Et pour cause, avec leurs effets spéciaux en toc, "Thor : Ragnarok" et "Les Gardiens de la Galaxie 2" n'ont jamais dépassé l'ambition d'être plus que de joyeuses et sympathiques séries B, fun mais sans souffle. Par "souffle", j'entends ce que je ressens devant des films comme les vieux "Star Wars", comme devant le "Seigneur des Anneaux", des films qui me font me sentir impliqué, ressentir quelque chose pour les personnages, les enjeux, qui me font voyager dans un univers inconnu et qui semble pourtant familier. En somme, ce souffle, c'est le "souffle épique" (expression souvent employée par notre cher "Fossoyeur de Films").
Et ce souffle là, si particulier, cela faisait très longtemps que je ne l'avais pas ressenti dans une salle de cinéma (Attention, je parle ici de films d'action assez basiques qui impliquent une quête, des voyages, des affrontements, etc... Parce que les deux derniers films de Denis Villeneuve, véritables blockbusters, m'ont en effet transporté, mais je peux pas les ranger dans la même catégorie que "Black Panther".).
Et malgré ses limites liées à son statut de "film feuilleton", malgré ses écrans verts omniprésents qui rendent très difficile l'immersion dans les scènes d'extérieur, malgré ses (rares) blagues lourdingues obligées des Marvel, "Black Panther" a un souffle.


Profitons-en pour dresser un constat global de l'état du blockbuster de divertissement actuel au cinéma. Pour moi, c'est sans appel, nous sommes dans "l'ère du fun". Je sais que ça a été dit et répété par des gens bien plus calés et doués que moi, mais les seuls films d'aventure/action qui sortent actuellement, et ce depuis quelques années, semblent avoir une sorte de "devoir de ne pas se prendre au sérieux" pour avoir une infime chance de séduire la critique (On se souvient du lynchage, selon moi injustifié, de "Batman V Superman", qui bien que critiquable sur beaucoup de points, n'avait pas besoin de s'excuser de son "ton sérieux".)
Du coup, dans le meilleur des cas, on ressort des salles en ayant vu un film, complètement con et assumé en tant que tel ("Kong : Skull Island"), ou en ayant vu une infâme bouse qui conte sur son humour médiocre pour nous faire passer une bouillie numérique doublée d'un gouffre scénaristique abyssale ("Justice League"). L'an dernier, "Logan" avait eu le mérite de faire bouger les lignes, avec des partis pris forts, et ce malgré une intrigue somme doute très convenue.
Et qui aurait cru qu'un film lié au MCU pourrait m'apporter le frisson, certes minime, que je croyais perdu...


Essayons-donc de comprendre qu'est ce qui donne à "Black Panther" cette aura si particulière.
Déjà, le casting est excellent et ça joue juste. C'est pas du luxe dans un Marvel. Ensuite, les personnages sont bien écrits, construits de manière cohérente, ce qui permet de véritablement entrer en empathie avec eux, même le méchant...surtout le méchant. Chadwick Boseman (Black Panther) et Michael B. Jordan (Killmonger, l'antagoniste) sont bons, touchants, classes. Le reste du casting n'est pas en reste, avec des personnages féminins intéressants, forts, complexes, qui ont d'autres dilemmes que de savoir si elles vont ou non se taper le héros à la fin. Lupita Nyong'o et Danai Gurira dégagent un charisme incroyable, crédible, beau.
Vous voyez ou je veux en venir ? Oui, ce film place ses personnages au sein de véritables enjeux, leur permet d'évoluer, de changer leur vision des choses.
Coogler joue sur de nombreuses oppositions : modernité/tradition, paix/violence, isolationnisme/ouverture au monde, secret utile/vérité douloureuse. Mais aucun des personnages ne se définit par une appartenance unique, les lignes bougent.
Et puis il y a la réal de Coogler qui, si elle s'efface parfois derrière la charge visuelle propre aux films de Marvel, fait des petites merveilles, notamment dans la scène se déroulant en Corée du Sud. L'infiltration dans le casino et la baston sur deux étages immersives, servies par des plans-séquences pertinents. Et enfin, pour la première fois dans un film du MCU, je ressens la violence des affrontements de corps à corps, sans doute grâce à l'expérience de Coogler sur “Creed”. Les combats rituels du Wakanda sont également filmés de manière nerveuse et lisible.
La course poursuite en voiture dans la nuit est totalement folle et jouissive. C'est sans doute ça la différence entre réalisateur qui se fait réellement plaisir tout en étant généreux et un Matthew Vaughn qui tente de se recycler sans jamais y parvenir correctement, dans son “Kingsman 2”.
Alors oui, comme je l'ai évoqué au début de ma chronique, le rythme de production industriel imposé à ces films a empêché le réal de se faire un délire à la Peter Jackson et de partir filmer ses environnements en pleine nature pendant plusieurs mois. Du coup, on ne peut que regretter les incrustations de faux arbres, fausses cascades, faux couchers de soleil, qui rendent le Wakanda finalement assez factice (la bataille finale, très bien chorégraphiée et dirigée, pêche un peu de ce côté là). Mais même soumis à ces contraintes, « Black Panther » compense par une excellente direction artistique (les costumes, notamment, sont très réussis) et des idées de mise en scène pertinentes.
Par exemple, lors de la cérémonie d'intronisation du nouveau roi du Wakanda, le héros a une vision de son défunt père dans un environnement très classique à la « Roi Lion » (les CGI moches en plus). Mais lorsque c'est au tour de l'antagoniste, wakandais de sang mais afro-américain de culture, d'affronter cette épreuve, il rencontre également son paternel dans son petit appartement d'Oakland, lourdement chargé en symbolique. Cette scène est sans doute la plus émouvante du film, et témoigne de la volonté de Coogler de dépasser les intrigues spécifiquement liées à l'univers Marvel pour dresser un constat de la situation des noirs dans nos sociétés.
Et pour cause, le seul personnage dont le rôle est de faire le lien avec le reste du MCU, j'ai nommé l'agent Ross (Martin Freeman) est largement mis en retrait (et heureusement, parce qu'un comic-relief blanc, c'est pas beaucoup plus drôle qu'un comic-relief noir, même si ça a le mérite d'inverser la tendance). Le seul autre acteur blanc, Andy Serkis, est par contre excellent en Ulysses Klaue, véritablement effrayant dans sa folie furieuse.
Je finirai sur la musique, plutôt originale pour un produit MCU. Il y a la volonté de créer une ambiance sonore propre à l'univers proposé à l'écran, à base de rap, d'électro, et de musique africaine.


Au final, « Black Panther » n'est pas seulement un bon film Marvel, c'est un bon film tout court, et l'un des meilleurs blockbusters « de divertissement » qu'il m'ait été donné de voir au cinéma depuis longtemps. Dommage que quelques « blagues à vinyle » (c'est à dire les blagues où on entend presque un vinyle déraper pour nous dire qu'il faut rire), propres au MCU, plombent un peu le tableau, surtout que l'humour situationnel basé sur la relation frère/sœur fonctionne plutôt bien.
Mais peu importe, « Black Panther » a une âme, « Black Panther » a un souffle.

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le 2 mars 2018

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Mr_Step

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