Aborder ce film en se disant : "c'est le nouveau Tim Burton", c'est partir sur de mauvaises bases, et ce pour deux raisons :
1°) si on est un fan du cinéaste, au point d'avoir apprécié (ou du moins pardonné) toutes ses errances, on sera pour le moins perplexe face à un film où il n'y a aucun arbre calciné, où la couleur noire est quasiment absente, où il n'y a aucun monstre marginal que l'on pourrait aimer et où il n'y a pas Johnny Depp.
2°) si, comme moi, on est plutôt désespéré par le tournant pris par la carrière du cinéaste ces dernières années, au point de penser que le vrai Tim Burton est mort avec Sweeney Todd (voire avec Sleepy Hollow) et qu'on a maintenant un homonyme-imposteur, alors on abordera ce film avec un certain recul (voire en marche arrière s'il le faut), redoutant de trouver que le bonhomme a encore franchi une étape dans son effondrement cinématographique.
Alors, certes, que l'on soit dans la première ou la seconde catégorie, on va inévitablement chercher des traces de lui dans Big Eyes. Et, au prix de quelques tortures de cerveaux, on pourrait bien éventuellement retrouver sa patte dans les tableaux de Margaret Keane, surtout dans ces enfants dont les orbites restent vides comme deux trous noirs qui semblent vous aspirer.
On pourrait aussi retrouver, en Margaret enfermée dans sa pièce, comme une vague réminiscience de tous ces personnages rejetés, marginalisés car ne correspondant pas à ce qui se fait en société.
Il y a, chez Burton, une haine de la famille comme institution sacralisée. Depuis la mère de Vincent jusqu'au père d'Ichabod Crane, l'autorité en général, et celle qui se fait dans le cadre de la famille en particulier, est haïssable car elle est la cause de tous les problèmes.

Mais ces oligoéléments burtonniens ne sont là qu'à l'état de traces infimes.
Alors, qu'est-ce que ce film ?
Un mélo.
De la pire espèce.
L'espèce sirupeuse, tons pastels et musique lacrymale.
L'espèce "téléfilm de M6 un lundi après-midi".
"Le formidable destin de Margaret Keane".
Il est assez fascinant de voir comment le cinéaste semble avoir ingurgité les mélos de l'époque (les films de Douglas Sirk en tête, sans aucun doute) et tente de les recracher sans se rendre compte que, 60 ans plus tard, tout ça paraît tout simplement pathétique.
Que Burton s'inspire d'un cinéma ancien, ce n'est pas une surprise : toute sa filmographie est remplie de références à la Hammer et aux séries B (ou Z) des années 40 et 50. Mais il avait su (généralement) digérer tout cela pour en faire une œuvre personnelle et moderne.
Là, il plagie Sirk.
Sauf que rien ne marche.
La reconstitution des années 50 fait beaucoup trop dans le rose bonbon. La musique du fidèle Danny Elfman fait trop dans "les petites notes de piano pour vous dire que c'est triste, là, juste maintenant". Amy Adams n'a que deux expressions à son actif, l'expression "je suis heureuse et je montre mes dents pour le prouver" et surtout l'expression "cocker triste" (pléonasme) qu'elle aborde pendant les trois quarts du film, dans la catégorie "ma vie est un enfer mais je suis forte parce que je suis une super-maman". Et je vous mets au défi de trouver la moindre idée de mise en scène.

Tout serait donc à jeter ?
Non, pas tout à fait.
Il y a une réflexion plutôt intéressante, au milieu du film, sur la réception des œuvres d'art. Interprétation par les spectateurs, rapport entre ce que veulent les acheteurs et ce que l'artiste est prêt à leur proposer, la notion de propriété d'une œuvre d'art, tout cela est abordé de façon sommaire mais a au moins le mérite d'exister.
Du coup, le film nous parle, forcément, des rapports entre art et business. Walter n'est pas un artiste, mais c'est un show-man, et dans un monde de communication, on est plus sensible à celui qui assure le spectacle plutôt qu'à celui qui agit véritablement. La critique du monde de la comm' est assez sympa, même si elle reste caricaturale.
Les seconds rôles sont plutôt bien tenus, avec en tête l'excellent Jason Schwartzman ou Terence Stamp.
Christopher Waltz est plutôt bon. On a envie de le baffer, avec son sourire de Iago. Alors, je suppose que c'est donc une réussite. Son one-man-show lors de la scène finale mérite d'être vu. Il a l'air d'être en roue libre, mais ça dynamise enfin un film englué, empesé. ça lui donne enfin ce petit air de folie qui lui manquait.

En conclusion, je donnerais un conseil : considérez que ce film est anonyme.
SanFelice
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le 25 janv. 2015

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SanFelice

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