En plaçant sa caméra au service d’une peinture des pouvoirs thaumaturgiques de la fiction, Robert Zemeckis offre à l’année 2019 un véritable acte de foi dans l’art qui seul est capable d’extirper un homme dévasté du champ de mines qui lui sert de for intérieur, d’extérioriser son mal par le biais de figures et par le prisme de la créativité. Car le petit monde de Marwen parle plus fort, tire plus vite, décuple la puissance dramatique et picturale du réel de sorte à tendre à ce dernier une lanterne magique imagogène autour de laquelle s’attirent, comme aimantées, les bribes de souvenirs encore douloureux et que les scénarios successivement concoctés par Mark Hogancamp développent.


Et en dépit du traumatisme lié aux lyncheurs néonazis – cf. la croix sur leur bras –, le retour à l’Histoire raccorde notre personnage éponyme à l’origine de tous les maux, au méchant par excellence qui n’a de cesse d’obséder l’inconscient collectif : la période de la Seconde Guerre mondiale cristallise à elle-seule tout un imaginaire qui féconde la douleur d’un autre temps, qui lui sert de passerelle entre les barbaries érigée peu à peu au-dessus du gouffre individuel. La fiction se mue aussitôt en échappatoire, en lieu d’une distanciation du moi avec ses traumatismes ; les protagonistes féminins – les plus nombreux – incarnent l’ambivalence du héros, son goût pour les talons hauts. Il dit rechercher l’essence des femmes, c’est-à-dire sa propre essence éprouvée par le prisme de plusieurs personnages qui coïncident tous avec une rencontre, un fantasme, un pan de sa personnalité ombragée. La fiction vient redoubler le réel, elle grossit le trait, envahit l’espace par une musique grandiloquente et de l’action sans arrêt. Le village de Marwen – bientôt renommé Marwencol – résulte lui aussi d’une agglutination, soit l’alliance de trois diminutifs renvoyant aux femmes qui marquent l’existence de Mark.


Avec un budget limité, Zemeckis réussit l’exploit de donner vie à un univers cohérent et techniquement superbe qui oscille entre Toy Story et le film de guerre ; et de cet improbable mélange naît une œuvre qui narre l’agonie d’un artiste heureusement sauvé par la foi qu’il place en son art. Les nombreux clins d’œil aux précédentes réalisations du cinéaste achèvent le rapprochement entre le personnage principal et Zemeckis lui-même, peint sous les traits d’un ancien propagandiste – il dessine la guerre et la bravoure des soldats américains – contraint de renoncer pour plonger en lui et continuer, contre vents et marées, à creuser son sillon artistique. L’indépendance va bien à Zemeckis, et Bienvenue à Marwen, s’il n’est pas exempt de longueurs et d’une certaine lourdeur dans l’application du dispositif vie réelle/vie fictive, le prouve une fois encore.

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le 26 déc. 2019

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