Ah ! Robert ! Tu nous avais manqué ! Tu as été bien présent ces derniers temps, mais ce type de film nous manquait. Est-ce ce que tu as compris, Robert ? Qu'on voulait du Forrest Gump et du Seul au Monde ? Peut-être, en tout cas cette histoire t'a inspiré.
Marwen est un village imaginaire qui sert d'auto-thérapie à un monsieur-tout-le-monde traumatisé par un événement ordinaire, mais doué de ses doigts et de son imaginaire. Voilà une histoire simple dont seuls quelques Spielberg et Zemeckis savent tirer quelque chose. Le programme est à l'avance prévu et pourtant on gigote fébrilement dans notre fauteuil, dans l'attente, non pas de la suite, mais de comment on va nous l'amener. C'est là qu'on sait qu'on est devant du cinéma. Quand ne veut pas savoir mais seulement voir.
Et Robert nous donne à voir ce qu'on attend. C'est très mécanique tout ça, pour lui comme pour nous, alors il nous donne à voir dans les détails. Voilà qu'on remarque la goutte de trop dans le petit seau de lait de la figurine. Alors la goutte de trop devient argument de mise en scène dans la séquence miniature animée.
Zemeckis a toujours rêvé d'avoir en mains tous les outils pour servir son imaginaire, et n'a jamais hésité à les inventer. Il est maintenant enfin en possession de l'outil numérique mature. A la manière de son confrère Spielberg dans son Ready Player One, Robert n'a plus la pression ni l'ambition du défi technique qu'il a eus pour Roger Rabbit, Retour vers le futur II, Forrest Gump ou Beowulf, performances bluffantes et saluées de partout. Le numérique permet désormais tout, alors il s'éclate. Au juste niveau technique. Plus besoin d'être au max de la performance. On peut tranquillement représenter des poupées dans leurs contraintes de mouvements, leur texture plastique lisse, les limites de leurs expressions. Robert s'amuse à respecter la physique de la petitesse jusque dans les liquides, à stopper le mouvement de la poupée au moment précis de sa mort (selon l'imagineur) pour la laisser tomber rigide comme une poupée factice, au milieu d'une scène d'action spectaculaire. Fulgurance de l'enfance. Les détails qui nous interpellent sont tous sensés, cohérents dans l'univers mental de notre Steve Carell parfait, et contribuent à raconter d'autant plus et mieux ce personnage, lui aussi adepte du détail. Ainsi notre cerveau se laisse porter par une histoire qui suivra son cours sans surprise, pour se laisser surprendre par les détails qui la jalonnent et finalement la façonnent. N'est-ce pas ce que l'on appelle l'art du storytelling ?
Il y a dans Marwen, quelque chose du Ready Player One de Spielberg (outre la musique à l'ancienne d'Allan Silvestri, béni soit-il) en ce que Robert Zemeckis trouve lui aussi une synthèse non pas de son cinéma mais de son rapport à l'imaginaire. Et je me demande si ça n'aurait pas à voir avec cet aboutissement des effets numériques plus qu'avec l'âge avancé de ces vieux auteurs. Les effets spéciaux enfin affranchis de la contrainte du réalisme et désormais capables de tout, l'enfant derrière la caméra peut enfin s'exprimer et le technicien se mettre en retrait, d'où une certaine naïveté retrouvée. Il fut un temps où il fallait adapter les scénarios aux possibilités des effets numériques (Toy Story, Small Soldiers, Flubber...). Dix ans après Avatar, ceux qui ont foulé les premiers ses terres trouvent dans le numérique une liberté par le fait que la course à l'outil le plus performant semble terminée. Ce sont enfin les outils qui s'adaptent au scénario.
Et pourtant, derrière la naïveté, le film montre une certaine maturité sur le sujet des femmes. On peut être gêné par l'aspect sexualisé des poupées, mais voyons les éléments dans le bon ordre. Notre personnage est traumatisé par l'agression de cinq hommes virils testostéronés, clichés du macho homophobe. Il aime porter des talons hauts et en a un peu honte. Dans son imaginaire refuge, les femmes sont les protectrices. Un panel de personnalités assez varié. L'une d'elles correspond même à une actrice érotique, une travailleuse du sexe, quoi. Protectrice. On a donc un type qui est profondément effrayé par la masculinité et se réfugie dans la féminité pour gérer son traumatisme. Il serait facile de voir du machisme dans la façon de filmer les voluptueuses jambes des poupées, mais ce serait être analphabète que de croire que Zemeckis les filme comme des objets sexuels. Accorder une valeur esthétique à ces corps de poupées, c'est les prendre pour ce qu'ils sont, des fantasmes. Et c'est très cohérent avec l'idée du réconfort trouvé dans la féminité.
Bienvenue à Marwen est une très belle fable moderne.
Pequignon
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le 3 janv. 2019

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Pequignon

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