A la sortie de ce film, qui a fait énormément parler de lui, je ne connaissais pas encore Paul Verhoeven et je n'avais absolument pas envie d'aller le voir. Je pensais que le réalisateur utilisait le sexe comme moyen pour attirer le public masculin.
Maintenant, je connais nettement mieux Paul Verhoeven. Mais une question continue à se poser : comment ce film, toujours précédé de sa réputation sulfureuse, peut-il se raccrocher à une œuvre beaucoup plus unie qu'elle n'y paraît de prime abord ? Existe-t-il des points communs entre Basic Instinct, La Chair et le sang et Total Recall ?


Incontestablement, Basic Instinct est du Paul Verhoeven. Aucun cinéaste américain n'aurait pu tourner un tel film. Seul le Hollandais pouvait logiquement développer une telle histoire de folie et de pulsions.
Dès le début, Verhoeven implante une ambiance très glauque. Le meurtre de la scène d'ouverture est vraiment gore et violent (en même temps, 31 coups portés, c'est énorme et ça dénote une rage meurtrière inouïe). Le portrait du criminel nous plonge encore plus dans cette atmosphère de folie : "un comportement d'obsession psychopathe", "un esprit diaboliquement retors"...
Et c'est là qu'apparaît Catherine Trammell. La tentatrice. Figure moderne d'Eve, aussi bien par sa fonction de tentatrice que par sa nudité quasi-permanente. Et c'est là qu'on retrouve notre Verhoeven et sa méfiance envers l'être humain.
Chez le cinéaste hollandais, les humains ne sont que des brutes à peine déguisées sous les habits civilisés. C'est le cas de Nick : il a arrêté la drogue, la cigarette, l'alcool, il cherche à devenir le bonhomme parfait, le héros américain dans toute sa splendeur. Catherine va attaquer une à une chacune de ses défenses, à l'image de cette cigarette qu'elle lui propose en permanence tout en sachant qu'il a arrêté.
Et le mince vernis de civilisation de Nick va s'effondrer petit à petit. Re-bonjour l'alcool, re-bonjour le clope. Et surtout, le super-flic va devenir de plus en plus brutal. Il suffit de voir la scène d'amour bestial avec sa psy, qui a toutes les allures d'un viol.


Verhoeven s'amuse beaucoup avec nous et avec ses personnages. En effet, il devient très plaisant de voir Nick dans la position du suspect interrogé exactement comme Catherine quelques minutes plus tôt, sortir les mêmes répliques, les mêmes arguments, etc. Le cinéaste se plaît à faire un film sur l'ambiguïté. C'est même le maître-mot de Catherine. Ambiguïté sexuelle, ambiguïté morale d'une femme dont toutes les relations sociales sont des criminelles, ambiguïté enfin dans son rôle : victime ou tueuse ? Plus le film va avancer et moins on n'y verra clair. C'est là que Verhoeven se montre au moins aussi diabolique que son personnage : alors que tout semblait évident et plié dès les premières minutes (au point qu'on pouvait légitimement se demander avec quoi il allait remplir les quasi-130 minutes de film), plus on avance, plus les certitudes s'écroulent.
Le jeu de ce scénario en boomerang n'épargne pas le personnage de Nick, que l'on croit victime de manipulation et qui se révèle loin de l'innocent petit flic que l'on croyait avoir : surnommé Le Flingueur, plusieurs fois responsable de morts innocentes, toujours innocenté lui-même par une justice trop encline à fermer les yeux sur le comportement de ses policiers, Nick est un homme violent qui perd souvent le contrôle de lui-même. Typiquement le personnage bestial, l'homme des cavernes des films de Verhoeven.


Et tout y passe ! Les êtres humains ne sont que des animaux qui se laissent dominer et diriger par leurs pulsions. "Ta bite dirige ta tête", dira Gus à Nick. Quant aux amies de Catherine, elles ont tué leur famille sans raison, sur une pulsion inexplicable.
L'attaque se dirige également sur le modèle du couple. Alors que, dans la seconde moitié du film, le rythme ralentit ostensiblement, le réalisateur en profite pour s'amuser à démonter l'image du couple romantique. Catherine et Nick font éclater à l'écran tout le sarcasme désabusé du cinéaste. Il suffit de voir Nick, en vieux macho, rouler des mécaniques en jouant l'homme viril, pour comprendre tout l'humour de Verhoeven.
Car, finalement, c'est peut-être ça qu'on oublie au sujet de Basic Instinct. Le film est un jeu. Un jeu entre le réalisateur et le spectateur. En fidèle hitchcockien (les références au cinéaste britanniques sont légions, surtout à Vertigo), Verhoeven sait qu'il faut manipuler ses spectateurs. Il faut prendre Basic Instinct comme un divertissement, un amusement. Il faut presque entendre le rire de Verhoeven lors du plan final. Et rire avec lui devant ce très grand film qui prouve, s'il le fallait encore, qu'il est un des plus grands cinéastes contemporains.

SanFelice
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le 19 avr. 2016

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