Je mettrais ma main à couper que ceux qui ont aimé lire le (magnifique) Rouge et le Noir de Stendhal ont aimé regarder Barry Lyndon. Je n'ai pas pu m'empêcher de me faire la comparaison tout au long du film, car il y a dans les deux cette histoire d'ascension fulgurante poussée par une ambition insatiable. Barry, c'est un peu le Julien Sorel irlandais, mais j'arrêterai mon parallèle ici car ce film existe trop en lui même pour l'enfermer dans une comparaison. Barry Lyndon n'échappe tout simplement pas à la règle, c'est un chef d’œuvre. On y retrouve le sarcasme incroyable de Kubrick, sa virtuosité sur le plan esthétique, ses choix musicaux impeccables... Des pérégrinations de Redmond Barry, irlandais sans le sous mais opportuniste qui va se retrouver marié à une veuve fortunée puis connaître le malheur, il se dégage une incroyable gravité. Cette voix-off, qui, toute en prolepse, ne cesse de nous rappeler que Barry va être fauché en plein vol, est juste une idée merveilleuse. Elle permet de garder le spectateur complètement investi dans ce film qui approche pourtant les 3 heures. On veut savoir quels seront ces fameux malheurs qui vont s'abattre sur l'homme dont l'on suit le parcours, on est absolument fasciné par ce personnage pourtant souvent exécrable. Il peut même arriver que l'émotion nous prenne à la gorge alors que l'on pensait ne pas pouvoir s'émouvoir d'un tel personnage. La musique est d'une mélancolie et d'une gravité splendide, comme dans Orange mécanique son utilisation semble extrêmement réfléchie et codée : elle a toujours l'air d'avoir été écrite pour les passages qu'elle accompagne. Et la caméra ! Elle se marie si subtilement à l'intrigue qu'elle nous permet d'anticiper ce qui va se passer. Les plans-séquences qui préfigurent chaque grand évènement perturbateur de la vie de Barry Lyndon sont incroyablement aboutis et marquants. C'est tellement plaisant de regarder un film où la caméra ne fait pas d'effets outranciers, mais est toujours dirigée vers une fin, où, si le personnage est filmé de telle façon, c'est pour telle raison... Il y a en fait, comme souvent chez Stanley Kubrick, cette impression de plénitude qui se dégage de Barry Lyndon. Il était décidément passé maître dans l'art de faire des films aboutis jusqu'au bout des ongles.