Le film commence par une énorme arnaque, dès l'exposition du récit, et crée d'office une inévitable frustration.

Un jeune médecin est envoyé dans un hospice, sans trop savoir ce qu'il y fera. Il apprend finalement qu'il va y être engagé et devoir y bosser comme jeune interne, à son grand désarroi, puisque ça y pue la misère, le malheur et la pauvreté.

Le décor de l'hospice est typiquement japonais, avec ces inévitables panneaux en croisillons de bois coulissants, qui s'ouvrent et se referment constamment. On sent d'entrée le cadre oppressant du huis clos qu'on devra se farcir pendant 3 (interminables) heures, et l'ambiance est assez réussie, plein d'éléments se mettent en place :
Il y a les malades hommes/femmes séparés dans des secteurs différents, les internes complètement paumés...

Et le mystérieux Barberousse, dont tout le monde parle, mais qu'on ne voit jamais. Un peu comme le colonel Kurtz dans Apocalypse Now.
Les internes habitués en parlent en termes très peu glorieux, il serait un dictateur, un tyran, voire un monstre.

Bref, toute une tension s'installe, et s'amorce avec réussite ! En plus, on découvre que finalement le décor n'est pas si réduit, il s'étend au-delà des premières limites perçues par le spectateur. D'abord il y a une vaste cour extérieure, et surtout il y a des dépendances où se trouvent d'autres malades très particuliers, dont une psychopathe qui tue ses amants après les avoir séduits, en mode Famke Janssen dans Goldeneye.

Tous les ingrédients sont donc là pour avoir un film palpitant et passionnant, et pas un gros mélo dégueulasse et lourdingue comme pas possible.

Et tout s'effondre...
On rentre enfin dans le bureau de Barberousse... Comme le spectre dans James Bond, il est de dos, on pourrait même, derrière ses larges épaules, le suspecter de caresser consciencieusement un gros chat blanc.
Il se retourne, et le charme s'éteint instantanément, toute la mise en place lente et efficace s'écroule.

Barberousse n'est q'un mec cool, gentil, attentionné et sympa.
Et ce pendant les trois heures. Un personnage sans faille, sans faiblesse (quelques artifices où il essaye de montrer qu'il n'est pas si bon que ça, mais personne n'est dupe), sans enjeu aucun. Il y a vaguement un combat foireux (dont parle très bien hunky-dory dans sa critique négative du film, et comme lui, je dois avoir toutes les tares car je n'aime pas non plus Miyazaki) avec des mecs très méchants, mais qu'il faudra bien entendu soigner le plus vite possible.

Un vrai problème de caractérisation du personnage en désaccord complet avec tout ce que le film s'emmerdait à essayer de construire jusqu'alors. Alors la faute serait vraisemblablement imputable à Toshiro Mifune (qui était notoirement un peu abruti), et a causé le divorce définitif avec Kuro...
Kuro : "Malheureusement Mifune n'a rien voulu entendre. Il a voulu jouer le personnage qu'il avait en tête, une sorte de héros sublime sans peur et sans reproche, et donc fatalement aussi sans humanité. Son interprétation héroïque, granitique, austère, a faussé le personnage. Mifune n'a pas voulu m'écouter. Alors j'ai décidé de ne plus travailler avec lui. Quand un acteur commence à jouer son propre personnage, c'est fini.""

Le fait est que ça nuit terriblement au film, et que le personnage de Barberousse n'a finalement strictement aucun intérêt.

L'autre problème c'est que son sparring partner qui fait office de protagoniste du film (le jeune interne qui découvre ce monde austère et misérable), est tout simplement insipide et inexistant.
Son rôle se résume à découvrir cet univers.
En gros pour schématiser :
- Un patient raconte sa vie de merde / une situation façon "Urgences" se produit avec un type en train de mourir, ou une personne à opérer
- Le jeune héros écoute et fait des têtes de mec tantôt surpris, tantôt dégoûté.

Et voilà, c'est pratiquement l'essentiel pendant la très longue première partie du film.
Dans la seconde, on nous rajoute une histoire absolument emmerdante à souhait avec une gamine (qui elle aussi a subi tous les malheurs du monde, rebonjour le mélo), dont il aura la responsabilité, et de vagues histoires de mariage dont tout le monde se branle de toute manière.

Sinon le reste c'est quoi ?
Des personnages qui racontent leurs vies impossibles, et tous les malheurs qui les ont frappés : tout y passe :
l'injustice, la mort, la maladie, les tremblements de terre, les conventions sociales, la misère...
Gros, gros mélo insupportable !

Même dans l'abominable "les Bas-fonds", on n'était pas à ce niveau de mélo, (bon Barberousse est quand même mieux faut pas déconner, tant "les bas-fonds" est terrifiant d'ennui)... Et Dodeskaden, j'en parle même pas.

D'ailleurs dans cette trilogie de la misère, Barberousse ne tient pas une seconde la comparaison avec Dodeskaden qui pour le coup est un véritable chef d'oeuvre de poésie !
Surtout, Kurosawa y avait dépouillé son film de tout élément mélodramatique, pour y insuffler une noirceur terrifiante, et en même temps y conserver une lumière humaine autrement plus belle et déchirante (dans "Ran" également).

Tous les personnages, même au fin fond de la misère la plus totale, étaient directement responsables de leurs actes, et de leurs malheurs.
Soit ils s'enfermaient volontairement dans la folie en refusant de voir le monde qui les entoure. Soit ils se cloîtraient dans le mutisme le plus total, jusqu'à même ignorer leurs proches (l'homme qui ne veut plus parler à sa femme par déception sentimentale), ou encore à s'enfoncer dans l'alcool, etc etc...

Dans Barberousse, tous les éléments les plus injustes tombent sur la gueule de tous les personnages qui ne font que subir et geindre. Et c'est juste imblairable.

Et surtout, c'est même parfois très très mal joué !
Il y a un moment excessivement long où une nana raconte l'histoire de sa vie en gémissant (on croirait retrouver les pires gémissements hystériques en plan séquences des "bas-fonds" justement), c'est à la fois surdialogué (gros, gros défaut chez Kurosawa, qu'est-ce que ça parle putain !), et terriblement mal joué !!! Et l'histoire n'est même pas intéressante, et n'apporte pratiquement rien au récit !

En fait, le film est plat, il s'agit d'une succession de sketchs misérabilistes qui se succèdent, ici ou là on a de bons moments pas mal filmés, avec une certaine finesse, et une poésie, mais l'ensemble ne tient jamais la route !
Il n 'y a pas de progression dramatique.

Le seul moment qui trouve grâce à mes yeux, c'est celui où le médecin rencontre la psychopathe "mante religieuse" qui tue ses amants.
D'abord parce qu'il y a un suspense qui s'installe (va-t-il se faire avoir par ses charmes), parce que le personnage est intéressant (une tueuse, c'est quand même sacrément cool) et imprévisible !

Et aussi finalement très convaincante !

Ce qui marche très bien dans cette scène de rencontre, c'est qu'elle a été très bien préparée en amont. On a mis en garde le jeune médecin, on lui a expliqué le modus operandi de la nana, on sait donc potentiellement tout ce qui pourrait se produire à l'avance.
Et cela se produit !
D'abord c'est prodigieusement mis en scène, avec un dynamisme de la caméra, et pour la seule fois de tout le film, le dialogue apporte une réelle plus-value au récit !

Bien sûr, elle raconte sa vie de merde au médecin, comme tous les autres personnages. Bien sûr, en soi, son histoire est juste chiante à mourir et absolument pas intéressante ...

Mais pendant qu'elle lui raconte ses "salades", elle commence à l'étreindre, à l'hypnotiser avec ses mots, à le manipuler, à le coincer, à sortir son épingle à cheveux pour... tenter de le poignarder !

La scène est donc géniale, et tout est pleinement justifié, et donc hyper accrocheur ! Et c'est malheureusement la seule.

Sinon, ici ou là, on retrouve quelques belles idées de mise en scène dynamique, avec ces fameux travellings kurosawaien qui défilent à toute vitesse, grâce au passage rapide en avant-plan d'éléments de décors.
Mais qu'on retrouvait de toute manière déjà en mieux dans des bons films comme le château de l'araignée, la forteresse cachée, rashomon and co...

Donc rien de nouveau sous le soleil, du téléobjectif, des idées de bruitage sympa (la clochette qui donne un rythme poétique à l'histoire pourtant lénifiante du mec dont la femme est morte)... Et voilà, c'est à peu près tout ce qui me vient à l'esprit à l'heure actuelle...

A mon avis, l'un des moins bons Kurosawa (il ne m'en reste que 5 à voir), anecdotique, interminable, pas intéressant, pas prenant, mélodramatique, avec quelques jolis moments à droite, à gauche, mais rien d'extraordinaire non plus.
Je ne comprends décidément pas pourquoi il est aussi surcoté ici-bas. Kuro a tellement fait mieux...

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le 25 févr. 2014

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KingRabbit

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