Oui, ce pays est fait pour les jeunes femmes.

Bordel de merde (je prends un peu l'accent du quartier, et ne venez pas me dire que c'est de la discrimination, je suis dans le thème du film), les mecs (je m'adresse à eux, les femmes dans ce film ont eu leur quota d'intérêt pour mille ans au moins), des films français, sur la banlieue, aussi justes, touchants, sensibles, NUANCéS (oui, je suis incapable de faire le é majuscule), on en a tous les combien de temps ? Sans déconner, vous parlez de clichés ? Le cliché du frère qui bat sa sœur ? Si c'est un cliché, c'est peut-être un peu parce que ça arrive vraiment, non ? A un moment donné, on en a gros, et je garde mes putains de nerfs. Vous parlez de la direction d'acteurs hasardeuse, des dialogues trop artificiels ? Vous n'avez jamais vu La journée de la jupe les mecs, ni Les héritiers, qui sont les exemples vivants de ce qu'il ne faut pas faire lorsque l'on essaie d'entrer dans la tête des jeunes. Et c'est d'autant plus consternant qu'il s'agit, quasi-systématiquement, d'acteurs amateurs, et d'une partie de l'équipe technique venant directement de banlieue. Faites moi plaisir et regardez ce film à nouveau, avec les yeux de la tendresse, les yeux de l'humanité, et des yeux de cinéphile, pourquoi pas.


Car oui, il y a du cinéma dans Bande de filles. Il y a même du cinéma lorsque, à la Kim Chapiron et les vrais sauront que j'ai raison. On y retrouve parfois l'ironie de Harmony Korine, la hargne engagée de Abdellatif Kechiche. On danse sur la musique de Rihanna, aussi, et cette scène anodine, qui me rappelle celle de Mommy avec Céline Dion, est la parfaite représentation des qualités et des défauts du film. Une simple danse ? Clairement pas, on se croit être, sur la musique de Rihanna, on rêve dessus, on fantasme, on est libres sur la musique de Rihanna, on la copie aussi, un peu, mais elle n'est pas libre, Rihanna, elles ne sont pas vraiment libres, mais elles sont ensemble, et elles rêvent d'inaccessible. Cette scène, comme tant d'autres de ce bijou de justesse, n'est pas seulement la représentation de l'entrée de l'héroïne dans la bande, mais l'éveil à la vie qui vient percuter le spectateur de plein fouet, sous de chaudes lumières bleutées. Le bleu n'est-elle pas la couleur la plus chaude, après tout ? Le principal reproche, néanmoins,que l'on pourrait faire à cette scène et à l'intégralité du film, de fait, est la juxtaposition d'images volontairement esthétisantes puis d'images crues, où certaines scènes se côtoient sans avoir aucun lien technique entre elles. Bande de filles devient alors un ovni qui cherche son propre style, en se heurtant à des ides excellentes, puis des idées bâclées voire très scolaires ; le film retombe dans des travers bien trop éculés.


Le second reproche que je pourrais le faire, qui n'est qu'une petite larmichette dans un océan de pleurs (de joie), c'et l'entêtement de Céline Sciamma à non pas castrer ses personnages masculins pour les assujettir, comme ça peut être le cas dans La vie d'Adèle, mais à les instrumentaliser pour en faire une toute-puissance morbide et obsolète car volontairement démultipliée. Dans Spring Breakers, Alien, le personnage masculin principal, est la représentation absolue de l'interdit, de la dépravation, il est un aimant à désillusions. Ici, des dizaines de petits Alien sans ambition gravitent autour des héroïnes, sans jamais avoir de recul nécessaire ou des backgrounds approfondis, ce qui fausse complètement les liens entre les personnages et rend le tout, non seulement redondant, mais surtout bien loin de la réalité. Seul le petit ami, relativement futile pour le spectateur (pas pour l'héroïne), est dépeint comme quelqu'un de tolérant. Aussi est-il trop effacé, comme ce père, absent de l'histoire. Que ce soit intentionnel ou pas, la réalisatrice écorne les hommes.


Peu importe cet égocentrisme pour les mâles alpha que nous sommes que j'ai ressenti, peu importe La Haine, révolution incomparable, peu importe la fin trop longue de quinze bonne minutes, Bande de filles va au-delà de toutes les espérances et parle de la perdition et de la REmotivation comme rarement dans le cinéma français, en mêlant, maladroitement mais en mêlant tout de même, cinéma et sujet de société. Tout n'est pas tout le temps noir ou tout le temps blanc dans notre existence. Mais on doit se battre pour avoir une vie de la couleur la moins foncée possible. Se battre pour exister, pour trouver sa place, pour respecter celle des autres, se battre pour espérer, en vain, ne plus avoir à se battre.


Bande de filles, les mecs. C'est tout. Un film peut avoir des défauts, et on peut délibérément choisir de ne pas les voir. C'est aussi ça, la force du cinéma.

EvyNadler

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

25
3

D'autres avis sur Bande de filles

Bande de filles
Hypérion
7

Bande à part

Bande de filles a mis un temps considérable à me séduire. Économe, voire avare dans ses mécanismes narratifs, j'ai mis un sacré moment à m'imprégner de cette ambiance faussement légère, de ses...

le 27 oct. 2014

60 j'aime

9

Bande de filles
Sergent_Pepper
5

Entre les dures.

Entre Naissance des pieuvres et Bande de filles, il n’y a qu’un pas, mais il est de taille : la prétention à servir un discours sociologique. Dans son premier film, Céline Sciamma traitait aussi de...

le 24 nov. 2015

51 j'aime

Bande de filles
Eren
1

La banlieue pour les nuls

Le dernier long-métrage de Céline Sciamma n'a rien de décoiffant pour tous ceux qui ont passé ne serait-ce qu'une demi-heure dans les cités ou dans les environs dits "touchés" de Paris,...

Par

le 1 nov. 2014

36 j'aime

6

Du même critique

Her
EvyNadler
8

Mauvaise foi

Bon déjà je tiens à préciser que je voulais mettre 5 dès le début. Avant même la première minute. Enfin dès le début quoi du coup. Oui je sais, c'est pas digne d'un critique, c'est pas digne d'un...

le 22 juil. 2014

232 j'aime

21

Eternal Sunshine of the Spotless Mind
EvyNadler
10

Un petit bijou de vie plein de poésie...

Jim Carrey prouve une fois de plus qu'il n'est pas qu'un trublion. C'est surtout un immense acteur avec une palette d'émotions immense. Kate Winslet, elle, livre ici une de ses plus belles partitions...

le 24 avr. 2014

164 j'aime

12

Juste la fin du monde
EvyNadler
8

FAQ Xavier Dolan - Comprendre et apprécier Juste la fin du monde

Parce que je n'arrive pas spécialement à remettre toutes mes idées en place, parce que je n'arrive parfois pas à séparer le négatif du positif dans ce film, et surtout parce que je n'ai aucune idée...

le 22 sept. 2016

133 j'aime

12