Le système interne de Baby Driver est dual. Sa première attribution caractérise depuis toujours le cinéma d'Edgar Wright. Elle était déjà à l'oeuvre dans la série Les Allumés et a prolongé ses effets à la faveur de la trilogie Cornetto, l'ensemble étant par ailleurs intimement lié aux comédiens britanniques Simon Pegg et Nick Frost. Il s'agit, grossièrement résumé, d'un humour vif, souvent à la lisière de l'absurde, couplé à une mise en scène inventive. C'est ce morphotype désormais éprouvé qui donne toute sa saveur aux premières minutes de Baby Driver : musique entraînante, chorégraphies idoines, courses-poursuites palpitantes, le tout dans un esprit bon enfant avec lequel Edgar Wright s'accommode parfaitement. Pour peu qu'il soit un minimum sensible à cet esprit estampillé « Cornetto », le spectateur se trouve dès l'ouverture dans la position d'un gamin de huit ans muni d'un pot de ketchup : il en mettrait volontiers une triple ration dans tout et n'importe quoi. Malheureusement, si ce n'est à l'occasion de quelques scènes d'action disséminées çà et là, cette belle entrée en matière est vouée à rester orpheline, le film se voyant rapidement obturé par cette seconde nature mentionnée plus haut. Tout ce qui peut nous irriter à Hollywood est là, et pas forcément en version édulcorée : des répliques pas toujours plus profondes qu'un dé à coudre, une intrigue qui semble avoir été figée dans les années soixante, un scénario vampirisé par une romance prévisible et des personnages secondaires caricaturaux, des stars qui ne forcent pas leur talent (Kevin Spacey) ou qui paraissent en roue libre (Jon Hamm, Jamie Foxx) et un acteur principal le plus souvent inexpressif (Ansel Elgort).


Fort heureusement, tout n'est pas raté pour autant. La photographie fait son petit effet, quelques idées visuelles défèrent à nos attentes, la relation entre « Baby » et son tuteur sourd-muet a quelque chose de touchant et la « coolitude » revendiquée par Edgar Wright continue de fonctionner par intermittence. Ce qui est plus regrettable en revanche, ce sont ces ressorts scénaristiques éculés, dont le degré de prévisibilité tutoie les cieux : un héros virginal redevable à un gangster, une bande de criminels mal assortis, une romance impossible, un dernier braquage qui tourne mal... À cela vient s'ajouter des personnages secondaires auxquels on s'attache autant qu'à des fosses d'aisances, assommants jusqu'à la catalepsie, privés de relief psychologique et de tout background digne de ce nom. A contrario, le héros dispose quant à lui d'un vécu, exposé en flashbacks, même s'il se résume finalement à bien peu de choses : un accident de la route traumatisant, ayant coûté la vie à ses parents... Ce qui lui confère une certaine étoffe – et une marginalité appréciable –, ce sont avant tout ses singularités manifestes : des acouphènes persistants, une dépendance avérée à la musique – à chaque humeur son iPod –, une certaine façon de se mouvoir, un mutisme délibéré (caution Drive ?), une conduite automobile stupéfiante (idem), un penchant pour les enregistrements sonores remixés, bref une nature propre qui le distingue de tous ses pairs. Nul doute que Baby Driver aurait été bien plus substantiel et intéressant si Edgar Wright avait veillé à appliquer ce dernier principe à son script...

Cultural_Mind
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le 25 oct. 2017

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Cultural Mind

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