Alejandro Inarritu brille dans la noirceur, le drame, les situations insolubles. Il apporte aux tragédies qu'il dépeint une remarquable intensité - renforcée par des plans naturels d'une grande poésie. Rarement on aura vu une telle tension dans l'émotion, qui ne se relâche quasiment jamais de bout en bout, grâce à l'interprétation bouleversante des acteurs et par un montage dynamique alternant cadrages serrés et plans de coupe bucoliques nés de paysages époustouflants.


J'ai aimé ces parcours croisés, le scénario et la narration construits à la perfection : dans chaque histoire, l'on retrouve un petit indice qui la rapproche des autres, fait écho, un fil rouge qui permet de ne jamais perdre l'intérêt du spectateur.


Porté par une distribution impressionnante aux langues mêlées - Brad Pitt, Cate Blanchett, Koji Yakusho, Gael Garcia Bernal (qui avait déjà collaboré avec le réalisateur mexicain dans son excellent Amores perros), Babel peut dérouter par son souhait constant d'aller vers le pire, d'ajouter du chaos au chaos. Pourtant, ce film n'est pas qu'une production tire-larmes : le sous-texte politique et sociétal n'en est pas non plus absent, qui évoque le racisme américain en jeu à la frontière mexicaine, l'impérialisme du continent de l'Oncle Sam, l'emballement médiatique excessif et mensonger qui fait son miel des catastrophes.


Réactions en chaîne, effet domino, effet papillon : les balles fusent, le sang s'écoule, les coups s'enchaînent, l'angoisse se fortifie au son de la merveilleuse et planante musique de Gustavo Santaolalla qui se grave éternellement dans notre mémoire sensible...


[La scène de fin, ce lent travelling arrière sur Tokyo illuminée de nuit me restera longtemps. J'ai lu ça et là que d'aucuns d'entre vous jugeaient "superflue", "décousue", l'histoire japonaise. C'est n'avoir pas saisi toute la puissance mélancolique, profondément psychanalytique, qui imprègne l'existence de ce personnage. Vie, mort, désir d'amour, quête de réconfort, de peau, de sensualité : si vous doutez de l'intérêt de ces thématiques, alors je ne peux plus rien pour vous.]


Et puis, soudain, un hélicoptère qui fend le ciel vide en soulevant la poussière et c'est tout un monde qui renaît et espère à nouveau... Trouée de lumière dans un monde écrasé par la douleur.


Un très grand moment de cinéma qui, pour chacun des personnages, semble illustrer la phrase de Nietzsche : Il faut beaucoup de chaos en soi pour accoucher d'une étoile qui danse.

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le 4 juin 2016

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