Malgré les interdictions gouvernementales qui pèsent sur sa personne, Jafar Panahi dirige un tournage à distance depuis un petit village isolé, situé à quelques kilomètres de la Turquie. 

Zara est ravie. Bakhtiyar, son compagnon, vient de lui dénicher un passeport volé qui lui permettra de s’expatrier. Mais en découvrant que l’homme qu’elle aime ne s’enfuira pas avec elle, la jeune femme déchante. Coupez ! Un travelling arrière traversant l’écran permet au réalisateur iranien d’apparaître dans le cadre. Ainsi le couple en crise est formé de comédiens. Mais la fiction qu’ils nous dévoilent finira par raconter leur propre histoire, tout en faisant échos aux sentiments déchirés de deux villageois. Ce sont là les prémices d’une mise en abyme vertigineuse qui ouvre de multiples tiroirs. Quant à Panahi, privé officiellement de caméra, il parvient néanmoins à se filmer les deux pieds sur la frontière. Devant lui, la liberté. Derrière, son pays de cœur en pleine souffrance. La séquence est puissante, ironie mordante ou farce si cruelle.

« Should I stay or should I go », telle est la question. Partir, c’est mourir un peu. Rester, c’est également succomber. Une fois de plus, le cinéaste se met en scène. Egocentrisme ou culte de la personnalité ? Sa situation précaire qui l’a mené aujourd’hui en prison est cependant révélatrice de l’état pitoyable dans lequel s’enlise la République islamique. Entre religion exacerbée, traditions archaïques, autoritarisme inique et oppression des femmes, cette terre, épouvantée par une image, une photo, s’avère bien incapable de retenir ses propres enfants. Le constat est cinglant et ne laisse guère d’espoir. Il rappelle l’IRM de Cristian Mungiu diagnostiquant les pathologies de la société roumaine, voire européenne. Lui aussi en appelait à l’ours pour signifier les peurs intrinsèques qui immobilisent et dévorent les peuples. 

(7/10)                                                                                        

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CineFiliK
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le 31 déc. 2022

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