Les archives James Bond, dossier 6: "Ça ne serait pas arrivé à l'autre type"

Quotient James Bondien: 7,5
(décomposé comme suit:)
 
BO: 10/10

Rubrique redondante (voir dossiers n°2, 3, 4 et 5): John Barry est au somment de son art depuis au moins cinq bandes originales, mais il est raisonnable d'estimer qu'ici il atteint un sommet. Chaque moment est un délice absolu et tous les registres de l'histoire (suspens, aventure, amour, humour) sont l'occasion d'un vague de plaisir indicible. C'est un sans-faute tétanisant, d'autant plus jouissif que…
 
Titre générique: 10/10
… au départ We have all the time in the world devait servir de single pour le générique (après que chacun se soit convaincu que Au service secret de sa Malesté ne pouvait pas fournir un titre de chanson acceptable), mais les producteurs trouvent le titre trop nostalgique. La mort dans l'âme, Barry compose le thème qui illustre au final le générique (un instrumental, une première ! Et dernière en même temps) qui devient un autre grand classique de la saga. La note de cette rubrique concerne donc les deux titres.
La chanson interprété par Louis Armstrong (voir la section post-production) restera à tout jamais la préférée de son compositeur.
Devenue depuis un grand classique des mariages anglo-saxons.
 
Séquence pré-générique: 7/10

Elle manque sans aucun doute d'une pointe de panache, mais elle reste néanmoins mémorable. Parce qu'elle introduit l'histoire d'amour entre James et Tracy, parce qu'elle teinte le filme de cette ambiance entre chien et loup, et par l'apparition de George Lazenby et son clin d'oeil au spectateur, le moment marque.
 
Générique: 7/10
Maurice Binder possède les clefs du camion depuis Opération tonnerre. Il essaie ici de faire cohabiter trois idées: établir un lien entre ce nouveau chapitre et les anciens (idée qui sera reprise dans la scène ou l'espion pense démissionner, et retrouve les accessoires de ses précédentes aventures dans un tiroir, à chaque fois accompagné du thème musical  correspondant), montrer le sens du devoir (la couronne et tous les autres attributs royaux) et montrer l'inexorabilité du temps qui devait d'abord être contredite par le single d'Armstrong. Le résultat reste extrêmement plaisant (et en partie repris par Mourir peut attendre).
 
James Bond Girls: 9/10
Teresa di Vicenzo est une James Bond girl essentielle pour deux raisons: elle est interprétée par Diana Rigg (ce qui pourrait largement suffire) et elle est celle qui, pendant plus de 50 ans, sera la seule qui aura su emporter le coeur de Bond au point qu'il la demande en mariage (on peut d'ailleurs se demander si une telle situation aurait été possible avec Sean Connery toujours dans le rôle).
Et c'est beaucoup plus simple et crédible que les très maladroites tentatives de l'aire Daniel Craig (Eva Green ça se discute. Léa Seydoux ne peut pas même concourir).
 
Méchant(s): 8/10

Ce Blofeld deuxième version (avant ses deux incarnations ultérieures) est peut-être le meilleur de tous. Telly Savalas compose un méchant assez parfait, mélange d'onctuosité maligne et de vilainnie raffinée. Bien entendu, l'inversion des romans On ne vit que deux fois et ce Au service… donne plusieurs incongruités, comme le fait qu'il cherche à se faire confirmer une prétendue origine noble (après avoir essayé de faire chanter la planète entière dans le film précédent ?) ou qu'il ne reconnaisse pas son ennemi. Mais ces broutilles ne peuvent pas ternir un méchant au port de cigarette hors norme et aux lobes d'oreilles manquants…
 
Cascades: 7/10
Nombreuses et spectaculaires, elles sont au service de l'histoire, ce qui est plutôt agréable: course de voiture, poursuite en bobsleigh, suspension aux câbles de téléphérique, un retour aux basiques salutaire, débarrassés des excès du film précédent.
 
Scénar: 7/10

Peut-être le film le plus fidèle au roman dont il s'inspire de toute la saga, Au service secret de sa Majesté souffre de cette fidélité dans la continuité de la série cinématographique. Un certain nombre d'éléments "naturels" du livre deviennent un peu étrange si l'on place le personnage de Lazenby comme un Connery qui aurait changé de visage. La petite phrase placée en fin de pré-générique a permis à une partie des spectateurs d'élaborer la théorie d'un nom de code (007) pour expliquer un espion interchangeable. En vérité, le film introduit ici l'idée d'un héros sans réelle continuité temporelle dont chaque aventure reste foncièrement indépendante.
 
Décors: 8/10

Si le Piz Gloria n'est pas un des décors les plus emblématiques de la saga, presque plus aucun ne l'est. C'est encore plus chouette quand on sait que la production du film a contribué à l'édification de l'endroit.
 
Mise en scène: 8/10
Pour une première réalisation, les idées de Peter Hunt sont particulièrement visuelles et heureuses, et très étonnamment résistent bien à l'épreuve du temps, malgré un langage cinématographique inscrit dans son époque. De nombreux mouvements de caméra (Bond accroupi le couteau à la main, l'apparition de Tracy sur la patinoire…), des idées de compositions (des reflets dans les vitres) sont de vraies bonnes idées de cinéma.
 
Gadgets: 3/10
Une simple valise à décoder un code de coffre fort (quand Connery possédait le même dispositif mais en version miniature dans le film précédent) et ça sera tout. On ne peut même pas s'en plaindre.
 
Interprétation: 7/10
Plusieurs interprètes, même récurrents, proposent de superbes partitions (Lois Maxwell émue pendant le mariage, Bernard Lee en lépidoptériste morose), Diana Rigg est comme d'habitude lumineuse et éclabousse la distribution de toute sa classe, Telly Savalas compose un Blofeld relativement parfait, mais c'est bien entendu George Lazenby qui interroge, et divise. On peut considérer que même si elle est inégale, sa performance reste super prometteuse pour un premier film et aurait pu offrir quelque chose de très intéressant s'il y avait eu une suite.
 
 
JAMES BOND ROUTINE:
 
- Drague: Bien sûr, James ne s'en tient pas à Tracy. Bien sûr, pendant que la future madame Bond se morfond en plaine, le vilain séducteur enchaine conquête sur conquête. Heureusement pour la morale, seule Rudy et Nancy succombent. Et à moitié sous hypnose. (Tracy, Ruby et Nancy: c'était l'année en "Y")


- Plus loin que le bisou ? Les trois sus-mentionnée, semble-t-il.
 
- Bravoure: Se jeter dans les bras de 12 jeunes filles venues des quatre coins du globe vêtu de son simple kilt ? Non ? Alors rien.


- Collègues présents: Aucun
 
- Scène de Casino ? Oui. Pendant laquelle la relation Tracy-James se consolide de très jolie et ambiguë manière.


- My name is Bond, James Bond: La plus rapide auto-présentation de la série, puisque ce sont les premiers de Bond, juste après "Good morning".
 
- Shaken, not stirred: Draco, le père de Tracy, cite la formule, pour montrer qu'il connait bien celui qu'il souhaite pour futur gendre.


- Séquence Q: Pas vraiment une. Q apparait dans la toute première scène, de manière un peu rapide. Il réapparaitra heureusement pendant le mariage. Sans gadget.
 
- Changement de personnel au MI6: Aucun. Notons que miss Moneypenny est très touchante dans sa tenue de mariage en pleurs. Avec ce délicieux échange avec Bond dans le bureau: - Moneypenny, que ferais-je sans vous ? - La question est plutôt  que feriez-vous avec moi ?
 
- Comment le méchant se rate pour éliminer Bond: Blofeld inconséquent comme les autres (et comme lui-même dans le film précédent): il déclenche une avalanche et ne récupère que le corps de Tracy, il le coince dans une salle des machines, le rate en lui tirant dessus (alors que James est tranquillement posé devant une carte du monde). Bref, de ce point de vue-là, une buse.
 
- Le même méchant tue-t-il un de ses sidekicks ? Pas cette fois. Décevant.
 
- Nombre d'ennemis tués au cours du film: 6 ! C'est à ce moment-là le plus faible score de la série.
 
- Punchline drolatique après avoir éliminé un adversaire ? "Il a beaucoup de tripes !" puis "Mauvais embranchement !".
 
- Un millésime demandé ? Dom Perignon 57 et un 5 stars Hennessy
 
- Compte à rebours ? Pas visible sur un compteur en tout cas. Même si l'idée d'une dead-line existe.


- Véhicules pilotés: Aston Martin DBS. Et une paire de skis.
 
- Pays visités: Portugal et Suisse.
 
- Lieu du duel final: Une piste de bobsleigh.
 
- Final à deux dans une embarcation perdue en mer ? On en est très loin, James en pleurs devant sa femme assassinée, au bord d'une sinistre route portugaise.
 
 
PRE-PRODUCTION
 
C’est donc la première fois que le sceptre du héros Bondien doit passer d’une main à une autre. C’est une nouvelle tradition qui s’ouvre ici : les noms bruissant dans la presse sont déjà légions. Mais plutôt que suivre une piste «évidente» (on évoque déjà Roger Moore, qui brille dans Le Saint), Albert C. Broccoli et Harry Saltzman ont l’intuition que de découvrir un nouvel inconnu (comme l’était Sean Connery avant Dr. No) est sans doute la meilleure idée.
Sauf qu’il faut trouver la perle rare, la star en devenir. On ne réussit pas l’exploit à chaque fois.
 
Ce n’est donc pas pour rien qu’un George Lazenby va avoir les faveurs des producteurs. C’est d’abord son amie qui lui sert d’agente qui lui suggère de postuler pour le rôle, car elle le sent parfait, avec l’arrogance adéquate. Le jeune homme, ancien vendeur de voitures en Australie, devenu entre-temps mannequin pour publicité de barres chocolatées (mais aussi Marlboro-man de 64 à 68), a de réelles aptitudes : il est un excellent skieur, possède plusieurs ceintures noires dans divers arts martiaux, et est amateur de dirt-bikes et stock-car. Le seul petit hic est qu’il n’est absolument pas acteur.
 
Qu’à cela ne tienne, George décide d’y aller au culot : il récupère un costume de Connery chez le tailleur de ce dernier (en faire un prenait six semaines, mais par bonheur Sean en avait laissé un) dont on allonge les manches, il achète également la montre de l’acteur, et va jusqu’à chez le barbier de l’écossais pour obtenir sa coupe de cheveux. Dans le fauteuil adjacent, un certain Cubby Broccoli se dit que le jeune homme pourrait faire un parfait James Bond, s’il n’était déjà sans doute un homme d’affaire à succès.
Il se joint au casting en se jouant de la secrétaire d’EON productions, et échoue bientôt dans le bureau de Saltzman, qui, au téléphone en chaussette les pieds sur son bureau, lui demande de s’assoir. Il décide de ne rien en faire tant que son interlocuteur ne se sera pas entièrement consacré à lui, assis. S’estimant enfin respecté, il peut déclamer un CV entièrement bidonné, empli de références invérifiables (avec des expériences allemandes ou australiennes).
 
Quand il est présenté à Peter Hunt, qui va enfin avoir le droit de diriger un James Bond (on se souvient que le monteur des 5 premiers films attendait son heure avec impatience), Lazenby connait un de ses rares moments de panique : il avoue au futur réalisateur qu’il n’a jamais tourné pour un film, et Hunt, qui lui trouve les qualités requises pour le rôle lui propose un pacte : s’il garde son secret pour lui, il sera le prochain James Bond. Nous sommes alors à quelques semaines du début du tournage.
 
Entre-temps, la pré-production a évidemment bien avancé. Richard Maibaum avait déjà proposé deux versions du script. Au service secret de sa Majesté avait déjà dû suivre Goldfinger, avant que la libération des droits d’Opération Tonnerre ne bouleverse l’ordre prévu. La première mouture date donc de 1964. Rebelote en 66 après le même Thunderball, ce qui faisait d’autant plus sens que la trilogie de romans de Fleming était dans cet ordre (c’est donc après le meurtre de sa femme que Bond devait pourchasser Blofeld jusqu’au Japon). Mais ce sont essentiellement des difficultés de repérages qui avaient stoppé la mise en place du projet, associées à la fin de contrat de Connery qui avaient cette fois redirigé la production vers On ne vit que deux fois.
Maibaum imagine donc dans le pré-générique que Bond subit une explosion qui le défigure, ce qui lui faire subir une chirurgie plastique du visage. Ce qui permet à la fois d’expliquer le changement d’acteur et le fait que Blofeld ne reconnaisse pas Bond. Broccoli et Saltzman trouvent l’idée séduisante mais finalement trop farfelue. Hunt est d’ailleurs d’accord avec eux : il souhaite quelque chose de beaucoup plus réaliste et proche du roman. Nous verrons (en fin de tournage) comment ils ont finalement trouvé la pirouette pour contourner un des deux problèmes.
 
Le problème central du scénario concerne donc ce qui avait empêché une première fois le choix de cet épisode : la localisation du repère de Blofeld. Alors qu’on imagine un moment la ligne Maginot (mais qui se révèle à la fois terne et sans réelle personnalité), le directeur de production de Chitty Chitty Bang Bang (l’adaptation d’un autre roman de Fleming mais lui destiné à la jeunesse) sur lequel finit de travailler Broccoli, apprend la construction d’un restaurant en Suisse. EON production propose donc d’aider à finir le chantier beaucoup plus rapidement que prévu si des ajouts conséquents sont ajoutés (comme l’héliport). Le gouvernement suisse commence à refuser pour des raisons esthétiques, mais quand les producteurs insistent sur ce que pourra apporter la présence d’un héliport en termes de sécurité pour la région, ils finissent par obtenir satisfaction. Les matériaux de construction sont donc acheminés la nuit par téléphérique, quand la journée de ski est terminée, ou même par hélicoptère.
 
La dernière version du script prend donc en compte la présence du Piz Gloria, mais s’ampute d’un combat prévu sur le toit d’une cabine de téléphérique, puisque ce genre de scène vient de faire sensation dans Les aigles attaquent. On replace donc le combat finale sur une piste de Bobsleigh, donc on vient de découvrir l’existence en faisant les repérages autour de Murren.
Le casting finit de s’étoffer avec le choix de Telly Savallas (qui remplace Pleasence sans que jamais ne soit expliquer par quiconque le choix de ne pas le reconduire) et une nouvelle Avengers girl succède à Eleanor Blackman, en la personne de Diana Rigg.
Au départ, deux françaises avaient été sondées. Brigitte Bardot avait décliné car elle s’était déjà engagée sur le tournage de Shalako avec… un certain Sean Connery, la deuxième condescendant à accepter un cachet de 250000 dollars (au lieu d’une hypothétique somme de 400000 «habituels»). Broccoli se doit alors d’expliquer qu’il est contraint de refuser car il ne donne jamais plus de 80000 à une actrice pour un rôle de James Bond girl.
 
Le planning prévisionnel est limpide : neuf semaines tout en haut du Piz Gloria, suivies de sept dans les inévitables studios Pinewood, avant un dernier petit mois au Portugal pour l’intro et le final. En avril 69, tout devrait donc être bouclé…
 
TOURNAGE
 
Un gros chapitre concerne évidemment George Lazenby, qui est le facteur X de ce tournage inédit, comme nouveau Bond mais aussi comme nouvel acteur !
Le point qui rassure immédiatement toute l’équipe de production est sa réelle décontraction (le gars n’est pas que fanfaron, il est réellement sûr de lui) et son professionnalisme : il connait chaque jour son texte, et se montre capable de délivrer une bonne performance à chaque première prise.
C’est en dehors des scènes que le problème commence petit à petit à se poser. L’acteur se montre exigeant sur le traitement qui lui est réservé. Il entre assez rapidement en froid avec Peter Hunt (qui l’avait pourtant lancé) en faisant part d’exigences inutiles, mal conseillé par certains membres techniques. En retour Hunt demande à ce qu’il reste le plus isolé possible au prétexte que cela lui forge le caractère nécessaire pour incarner Bond (ils ne feront la paix qu’en fin de tournage).
Il fatigue les techniciens, en se jetant par exemple à chaque prise dans les empilements de cartons destinés à amortir son éventuelle chute dans la scène du câble de la salle des machines. Il fatigue les producteurs en skiant dès qu’il a un moment de libre, alors que cela lui est formellement interdit par son contrat et son assurance.
Une soirée cristallise les tensions et révèle le gros du problème: alors que Dana Broccoli, femme de Cubby, organise une soirée pour toute l’équipe afin de remettre du liant dans les relations, car tout le monde est un peu à cran après plusieurs semaines de travail en altitude et en vase clos, une seule personne arrive à la fois en retard et bougon : c’est George. Quand Dana lui demande ce qu’il se passe, il répond qu’il n’a pas reçu d’invitation à son nom. Quand elle répond que les invitations étaient placardées partout dans le Piz Gloria et qu’elles concernaient évidemment tout le monde, il répond vertement que c’est pourtant lui la star du tournage. C’est à ce moment-là que Cubby explose, et remet les points sur les «i» : il ne sera une star que quand les spectateurs l’auront décidé, ce qui est encore loin d’être le cas. Ce qui permettra à la tête de Lazenby, au cours des jours suivants, de dégonfler un peu et à son porteur de donner une meilleure image de lui : le pire est bien qu’au fond, le type n’est pas un mauvais bougre.
(malgré ce dernier épisode gênant, encore épris de cette ivresse de notoriété nouvelle : ayant un peu forcé la main de la vendeuse d’une petite armurerie en Suisse pour lui vendre un Walter PPK (pour pouvoir faire le Bond dans les soirées en station) alors qu’il ne possède pas le permis adéquat, il charge la vendeuse quand il se fait arrêter par la police locale un soir de beuverie.
Etant payé en cash, et ne pouvant dans un premier temps le dépenser au cours de soirées financées par la production, George se fait plumer au poker par un Telly Savallas qui est un joueur chevronné. Il faudra qu’Harry Saltzman intervienne et regagne au même jeu l’argent perdu. Et le rende, grand seigneur, à l’acteur lésé.
 
En dehors de Lazenby, les autres comédiens se régalent. Les 12 filles, sous l’impulsion de Joanna Lumley (future remplaçante de Diana Rigg dans Chapeau Melon), se mettent au crochet, ce qui leur permet plus facilement de repousser les avances du nouvel étalon qui pense partager le charme irrésistible de son personnage. Elles sont même suffisamment à l’aise pour retourner les blagues salaces qui leur sont adressées: quand elle s’aperçoit que Lazenby s’est collé (avec la complicité des techniciens) une saucisse tiède contre la jambe pendant le prise où elle est censée écrire au rouge à lèvre le numéro de sa chambre sous le kilt de Bond, Angela Scoular ne bronche pas et termine la prise sans réaction particulière. Simplement, elle lui murmure avec un sourire après la prise que s’il voulait l’impressionner, il aurait mieux fait de garder son sous-vêtement.
 
Pendant que les acteurs sont plutôt bien dirigés par un Peter Hunt assez à l’aise dans son nouveau rôle, un autre futur réalisateur fait ses armes à la tête de la seconde équipe : John Glen passe énormément de temps sur la poursuite à ski fort spectaculaire ou sur la non moins ébouriffante poursuite sur la piste de Bobsleigh (il s’agit d’ailleurs d’une vieille piste abandonnée pour sa dangerosité remise en état pour l’occasion). Plusieurs techniques inédites sont déployées, et Willy Bogner (ancien athlète olympique et futur créateur de mode) et Johnny Jordan (pour les prises de vue) font des petits prodiges.
 
Une cascade manque de mal tourner quand Richard Graydon, qui se pend aux câbles du téléphérique (évidemment retenu par des crochets) commence à glisser à cause du gel qui ne permet plus aux attaches de rester en place. Un autre cascadeur parvient à l’arrêter au pilonne suivant sans trop de casse. Un danger qui en grise d’autres : Diana s’éclate comme une folle au volant de sa voiture pendant les scènes de courses sur glace, et elle fait beaucoup plus de prises que ce que lui conseille John Glen.
 
La bague de mariage de Tracy a été commandée à un vrai joaillier, et sera produite en deux exemplaires. La première sera offerte à Diana Rigg, et la deuxième reviendra au fabricant. Elle s'est vendue plus de 52000 livres aux enchères en 2019.
 
Deux dernières anecdotes pimentent la fin du tournage au Portugal. Le jour où toute la presse est conviée pour assister à un (faux) jour de tournage concernant le mariage de Bond, Rigg hurle malicieusement à George qu’elle a mangé de l’ail et qu’elle espère qu’il en fait autant avant leur baiser, ce qui va alimenter les rumeurs d’une grave mésentente entre les deux (alors qu’elle apprécie plutôt son partenaire).
Et puis il y a cette idée arrivée au dernier moment, qui va être adoptée sur une intuition. Comme George Lazenby passe son temps à répéter qu’on n’aurait jamais demandé à ça «à l’autre gars» (au début énervé, puis de plus en plus amusé) Hunt le défie de le dire face caméra, et c’est ainsi que le pré-générique se clôt sur cette pirouette en forme de clin d’œil qui pose le principe d’une complicité entre le public et la franchise : le personnage reste le même, l’acteur est désormais interchangeable.
Même si cela ne va suffire à résoudre tous les problèmes de continuité (voir causerie).
 
Une dernière scène laissera de grands regrets à l’acteur météorite. La fin du roman l’ayant fait pleurer, il en relit les dernières pages avant de jouer le moment de l’assassinat de sa toute nouvelle femme. Et délivre une performance qui semble d’un avis général sublime. Mais Hunt lui demande néanmoins de refaire la prise parce qu’il estime que James Bond ne peut pas pleurer.
 
Le tournage prend fin en juin 1969, avec deux mois de retard, en grande partie du au mauvais temps dans les Alpes.
 
 
POST-PRODUCTION
 
Une scène était prévue dans le réseau ferré électrique sous-terrain de la poste Londonienne, pendant laquelle Bond pourchassait l'avocat Phidian après sa visite au collège héraldique. Elle a finalement été abandonnée avant même le tournage car les producteurs se rendent compte que cela allait disperser inutilement un film déjà très long. Peter Hunt n'a jamais compris pourquoi ce lieux incroyable n'avait jamais utilisé plus tard.
 
Si John Barry aime autant We have all the time in the world, c’est aussi parce qu’il a pu obtenir de Louis Armstrong cet ultime enregistrement à New York. Il s’agit du tout dernier passage en studio de la carrière du trompettiste-chanteur quelques mois avant sa mort, alors qu’il a déjà fait plus d’un an d’hôpital. Comme c’est presque toujours le cas en pareille circonstance quand deux géants de la musique collaborent, l’émotion est aussi forte de part et d’autre, chacun des deux s’estimant béni des dieux d’avoir pu participer à cette aventure commune.
 
Le film a longtemps été considéré comme un échec, en partie dû à son interprète principal, alors qu’à de nombreux égards, cette double affirmation est facilement contredite.
Ce qui est sûr, c’est que l’accueil est plutôt frais. Au cours de la désormais traditionnelle avant-première, si la salle hurle de joie à la réplique « ça ne serait pas arrivé à l’autre type », d’autres moments, et surtout la fin, inhabituellement dramatique, surprend et déplait. La presse n’est pas tendre avec le film, qui pourtant engrange 82 millions de dollars de recettes, ce qui, pour 8 millions de budget reste un rapport que presque tous les producteurs de la planète envierait.
 
A la fin de la présentation du film à United Artists, un des cadres glisse à Cubby Broccoli qu'ils avaient fait une erreur à la fin du film: ils auraient dû tuer Lazenby et non sa femme.
 
Dans le reste de l'Europe, les distributeurs décident que le film est trop long et l'ampute de la scène suisse pendant laquelle Bond force le coffre du contact de Blofeld. Elle ne réapparaitra que quand le film bénéficiera de ses premières sorties en VHS et plus tard en DVD.
 
On pense trop souvent que Harry Saltzman et Albert Broccoli se sont séparé de Georges Lazenby à cause de ses prétentions de diva et au relatif échec du film. Or il n'en est rien. Broccoli estime notamment que George a réussi une performance globalement très forte, entre autre parce qu'il n'a pas cherché à copier Connery, et en imposant au contraire sa personnalité propre. Il aurait été parfait, selon lui, s'il l'avait plus et mieux écouté, et s'il avait suivi les conseils de Peter Hunt ou Diana Rigg.
Le plus surprenant est que les deux producteurs tiennent encore à la fin du tournage à faire signer l'acteur pour un contrat de sept films ! Mais George Lazenby prouve au moins qu'un destin de star se construit au moins autant en dehors de l'oeil d'une caméra que sur un plateau: convaincu que les films d'espions aux cheveux courts et costume strict n'ont aucun avenir face à la déferlante de fictions comme Easy Rider où les héros à pattes def et cheveux longs tiennent le haut du pavé. Son agent annonce donc qu'il ne tournera plus de James Bond, et Saltzman et Broccoli en profitent pour confirmer par voie de presse que l'aventure de l'acteur s'arrête là. 
 
Le clin d'oeil: Quand les hommes de Draco "invitent" gentiment Bond à le suivre dans le hall de l'hôtel Palacio, l'un d'entre eux cache son revolver derrière un exemplaire de France Soir. Ce titre n'est pas choisi au hasard, puisque le journal avait été le premier en France à évoquer le tournage de Dr No en 1962.
 
LA CAUSERIE FINALE AU COIN DU FEU D'ONCLE NESS
(Un feu de carcasse de char russe, dans une forêt nocturne à l'ouest de Kiev, alors qu'il a passé la journée à aider des populations civiles à se protéger et les combattants locaux a se défendre, aidé par une traductrice combattante fourbue qui ne dirait pas non à quelque réconfort avant de repartir au combat…)
 
Il est assez fascinant d'imaginer la destiné de la franchise et de George Lazenby si le fameux contrat de 7 films avait été signé. La confiance que dégageait l'acteur dès sa première apparition laisse imaginer que sans devenir aussi populaire et charismatique que Sean Connery (on a bien vu que devenir une star ne joue pas que sur scène) Lazemby aurait pu devenir un Bond sacrément convainquant, la série s'orientant peut-être assez différemment. Et contrairement à ce que certains estiment, il est très improbable que ce Au service secret de sa Majesté ait aussi bien fonctionné avec un Connery toujours présent: aurait-on cru à cette idylle qui fonctionne sans doute si bien parce que précisément, il s'agit d'un nouveau James Bond ?
 
Quel que soit l'acteur choisi, il semble en tout cas que Saltzman et Broccoli ait décidé de tordre le cou à la suite logique des films, alors même qu'ils cherchent à établir une forme de continuité en reliant ce film aux précédents (par le générique, par la fameuse scène des souvenirs…), ce qui établit à partir de Lazenby une constante (chaque film est finalement indépendant) qui permet toutes les situations, jusqu'au reboot de Casino Royale. Ce concept, introduit dès l'apparition de Felix Leiter différents, permet le renouvellement incessant des composants humains et narratifs de la saga: Bond, comme ses collègues du MI6 ou ses adversaires, est amené à réapparaitre au grès des époques et des générations dans une éternelle jeunesse qui casse les codes et s'épargne quelques paradoxes délicats.
Une façon essentielle d'affirmer que désormais, les personnages sont plus importants que les acteurs qui les composent.
Et en ce sens, la formule de Lazenby "ça ne serait pas arrivé à l'autre type" ouvre, au delà du clin d'oeil vers le quatrième mur, toutes les possibilités pour l'avenir.
 
(C'est aussi pour cette raisons que le successeur de Mourir peut attendre devra lui aussi réaffirmer ces quelques principes, que les cinq Daniel Craig ont cassé, d'une manière cependant assez heureuse.)
 
Enfin, il s'agit sans doute du film à la destinée la plus fluctuante dans le coeur des fans. D'abord en partie ignoré, la postérité lui a laissé une place à part (seul film de son acteur principal, BO renversante, décors époustouflants, fidélité au roman d'origine, histoire d'amour très longtemps unique) qui lui a permis de grandir au fil des décennies pour aujourd'hui être considéré comme un des meilleurs films de la série, si ce n'est LE meilleur.
Un épisode atypique et original, pourtant pétri de qualités constitutives de la série, et qui mérite logiquement une place à son image: à part et indispensable.
 
 
Ceci est le douzième dossier des 27 que comporte la série des Archives James Bond
 
Un dossier à retrouver avec musique et illustration sur The Geeker Thing

guyness

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