Je ne connais rien du bouquin original mais je peux vous dire que je m’y connais un peu en Dupontel. Or, pour moi, ce mec là, aujourd’hui, c’est clairement l’un des rares auteurs dont le cinéma français peut être fier.
On aime ou on n’aime pas : au moins ce gars fait des choix formels forts, il a un sens de la narration et du rythme, et surtout il n’a pas peur d’aller chercher l’émotion.


Alors OK, c’est vrai que ça ne marche pas tout le temps, comme c’est le cas pour cet « Au revoir là-haut ».
Perso, je ne suis pas très fan du début dans les tranchées : la photo tire bien trop sur l’orange, la présentation du personnage de Pradelle est à la limite du grotesque, et les scènes de combat singent plus souvent les plus grands qu’elles ne posent vraiment une patte singulière.
Mais qu’importe au fond, car plus le film avance, et plus on se rend compte que ce n’est pas cela le sujet.


Un peu dans le sillage du récent (et vraiment sympa) « Cessez-le-feu » d’Emmanuel Courcol, Dupontel s’intéresse ici (en même temps c’est le roman qui l’y invite sûrement) à « l’après » de la Grande guerre. Et c’est là pour moi que la magie du roi Albert fonctionne à plein.
Ce gars, on sent qu’il a une sensibilité à fleur de peau. Sa manière de capter les regards, de générer un instant touchant, ou bien encore de réenchanter les situations les plus tragiques : voilà bien sa grande force.
Ce gars ne se complait pas dans la misère, il ne joue jamais de la facilité.
Il part toujours à la recherche du bon point d’équilibre entre l’émotion brute et la retenue subtile qui permet d’obtenir quelque-chose de délicat, complexe, mais direct.


Alors certes, tout n’est pas parfait. J'ai déjà parlé de la photo au début, je pourrais aussi parler de la musique de Christophe Julien qui alterne entre le bon et le moins bon (…heureusement le meilleur est pour la fin.) Mais à côté de cela, que de choix justes !
Le casting pour commencer, et notamment Nahuel Perez Bisquayat qui nous sort un truc vraiment puissant tant son personnage est complexe à faire vivre et à faire évoluer.
Parfois il ne dispose que d’une gestuelle, que d’un regard, et pourtant ça perfore à chaque fois dans le mille. Alors c’est vrai, le jeu de masques dont il dispose et la mise en scène de Dupontel sont clairement à son service, mais quand même !
Et que dire du reste !
Pour ce film, Dupontel m’a sorti toutes les trombines du cinéma hexagonal que j’adore en ce moment ! Laurent Laffite, une fois de plus, fait le taf comme il le faut. Niels Arestrup irradie encore une fois de sa classe et de sa remarquable subtilité pour transmettre les émotions. Même Mélanie Thierry m’a tiré quelques sourires émus tant le peu qu’elle avait à faire était juste et fort, c’est dire !
Et que dire de la prestation toute en efficacité de la petite Héloïse Balster ?
Que dire de la présence fugace et jouissive de mon Michel Vuillermoz adoré !
Ne manquait plus que Pinon et le Belge Bouli Lanners pour que je sois aux anges !


Je pourrais encore tellement m’étendre sur ce sujet ou bien sur tant d’autres !
Par exemple, au-delà du casting je pourrais évoquer tous les choix forts judicieux opérés par Dupontel pour retranscrire cette période intermédiaire entre fin de guerre et début des années folles.
Que ce soit au travers des décors, des détails glissés ça et là, ou bien encore tout simplement au travers de certaines scènes (…comme celle mémorable de fête dans l’hôtel), Dupontel mélange toujours astucieusement mélancolie et désir de retrouver la joie ; cynisme total et recherche désespérée d’un retour vers une certaine forme d’innocence…


Au fond, ce qui semble finalement le plus brider ce film, c’est son intrigue originale.
Même si je n’ai pas lu l’ouvrage de Pierre Lemaître, et que je ne peux donc pas juger des contraintes posées et des libertés prises, je trouve quand même qu’on sent une certaine inertie dans le développement de l’intrigue, chose qui est fort peu coutumière du le cinéma de Dupontel.
C’est bête, mais plus d’une fois je me suis dit : « Je ne comprends pas pourquoi Dupontel a préféré raconter la chose ainsi. » Et à chaque fois, ma réaction a toujours été la même : « Ah oui, c’est peut-être le roman original qui l’y oblige… »


Alors oui c’est frustrant, mais qu’on ne s’y trompe pas non plus.
Même un peu plus rigide que d’habitude, un film de Dupontel reste un film de Dupontel.
Et même, je trouve qu’en fin de compte, ça ne fait pas de mal non plus de voir un auteur sortir de sa zone de confort pour se risquer à faire du neuf.
Là, au vu du résultat final, j’avoue que ce serait difficile pour moi de lui donner tort.
En fin de compte, je l’adore ce film, et en cette période de vaches maigres, ce n’est clairement pas moi qui vais minimiser ses forces et ses mérites…

lhomme-grenouille
8

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le 2 nov. 2017

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