Trois ans après l’excellent Réalité, Quentin Dupieux revient après avoir clôturé son cycle filmique aux Etats-Unis pour offrir au cinéma français une nouvelle bouffée d’air frais avec Au Poste ! Le réalisateur, scénariste, compositeur, s’associe cette fois à Benoît Poelvoorde, Grégoire Ludig et Marc Fraize dans une comédie ubuesque et surprenante, génialement cauchemardesque.



Une variation des codes amusée comme amusante



On entre dans un Quentin Dupieux comme dans un cauchemar éveillé, sans repères, ni d’autre attente que celle d’être surpris et cela dès son ouverture totalement burlesque, avec un chef d’orchestre dirigeant ses musiciens en slip au milieu d’un champ avant d’être poursuivi par la police. Au Poste, pour autant, s’appuie aussi sur le pouvoir de la référence et de la culture populaire en prenant la forme d’une comédie policière française, d’une comédie de personnages, de huis-clos et d’interrogatoire, dans un décor rétro, (très 80’s tout en restant intemporel) qui évoque tout naturellement Garde à vue de Claude Miller. Mais on y retrouve aussi des références allant du Magnifique, de Philippe de Broca, à Buffet froid, de Bertrand Blier. De la cigarette, à la mélancolie, en passant par le flic bêta, Au Poste ne se refuse pas à reprendre ici et là quelques tropes d’un genre qui s’est presque ringardisé lui-même. Mais le film de Dupieux n’est ni une parodie, ni un hommage, bien plutôt une variation amusée et amusante d’un genre à contraintes dans lequel le scénariste comme le réalisateur peut jouer avec les codes.


En guise d’interrogatoire, Dupieux propose ainsi un dialogue pétillant de trouvailles et d’esprit, comme chez Raymond Queneau, auquel s’applique, comme toujours chez le réalisateur, une sorte de cohérence interne, toute loufoque qu’elle soit, traversée de part en part de running gags et vannes linguistiques. L’humour de ce long métrage est au demeurant efficace, généralement parce qu’il met en scène sa propre absurdité par la présence du personnage de Grégoire Ludig, suspect numéro 1, incarnation de la plus patente (et ennuyante) normalité ou plus exactement, figure redoublée du spectateur. On se prend au jeu de la désorientation, de la frustration (avec la faim), de la cruauté avec un plaisir mi-sadique, mi-masochiste, dans l’attente de l’implosion de la figure littérale du cadavre dans le placard.



Hilarant et inquiétant



À bien y penser, le cadre limité d’Au Poste en fait certainement l’un des films les plus accessibles, et les moins bizarres, malgré la quantité d’éléments troublants disséminés au premier comme à l’arrière-plan. Le film dispose bel et bien d’un enjeu, autour duquel l’ensemble de l’histoire se tend, et ne procède pas de circonvolutions en se contentant du récit au temps présent dans lequel s’emboitent les souvenirs. Alors, assurément, on se réjouit de certaines entorses à la réalité et à la linéarité, mais le réel fameux « What The Fuck » survient finalement presque en contradiction avec tout ce qui l’aura précédé et laisse en partie sur sa faim/fin (bien qu’il obéisse en tout point à la logique cauchemardesque et complotiste de l’écriture à la Dupieux).


Au Poste bénéficie enfin grandement de ses acteurs, avec en tête le duo inédit de Benoît Poelvoorde et Grégoire Ludig où on trouve de la complémentarité entre les deux acteurs et dont la qualité du tempo comique est parfaitement servie par la dynamique de la mise en scène. La perte d’attention lors de la projection est alors impossible. On est ravi aussi de voir Marc Fraize au casting tant on reconnaît chez lui de sérieuses fréquentations avec l’humour à la Dupieux : pour la peine, le film reprend, en plus contracté, un de ses sketchs qui déjà travaillait la frustration et la dimension comico-inquiétante jusqu’à plus sens de la répétition. Mais on retrouve aussi des seconds rôles tels que Philipe Duquesne ou même Orelsan qui font des apparitions mémorables.


Alors, il est véridique qu’il y a dans Au Poste comme dans bien des Dupieux un parfum d’exercice de style, d’excellente copie, mais dont on pourrait regretter le manque d’émotion au-delà de la pure expérience formidablement ludique. Mais c’est si bien fait, si bien tenu, et si rare, qu’on en redemande encore et encore, surtout avec seulement une durée de visionnage de 1 heure et 13 minutes. On devra alors attendre avec impatience le nouveau projet du réalisateur, Le Daim dans lequel Jean Dujardin est obsédé par une veste en daim.


Au Poste est donc une comédie policière ludique et inventive, drôle et inquiétante, qui saura faire mouche pour peu qu’on soit sensible à l’humour absurde et au talent de son formidable trio d’acteurs.


Léo Jacquet


https://lecoincritique.wordpress.com/2018/07/29/au-poste/

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le 30 août 2018

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Léo  Jacquet

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