La guerre des... gogols - Par Jupiter ! Par Toutatis ! Par Confucius ! Par pitié !

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Avec le mois de février arrive la saison du carnaval, avec ses déguisements partant dans tous les sens: égyptiens, soldats ou dictateur romains, samouraïs, pirates, et, forcément, les gau…, les gaugau… les gogols! Car c’est tout bonnement ce qu’a fait Guillaume Canet d’Astérix, Obélix et leurs amis (une pléiade de stars) dans le nouvel épisode de la franchise (le quinzième et la cinquième adaptation live, si on exepte le téléfilm Deux Romains en Gaule) : L’empire du milieu. Pas que ce soit la pire adaptation de l’univers créé par René Goscinny et Albert Uderzo mais sans doute la pire adaptation d’une bande dessinée à l’écran. Car le déguisement ne fait pas l’esprit et à force de péter dans la route de la soie, il y a des traces de freinage immonde. Que des petits mouchoirs ne suffisent pas à effacer de nos rétines violées. « C’est oui ou bien c’est non », demande Angèle « Falbala », c’est non, non et renon! Il n’est pas frais son navet et on a allègrement franchi le Rubicon, très con. Couvert de purge!

Astérix et le cinéma, c’est une histoire qui (est) dure. Depuis 1967 et la sortie d’Astérix Le Gaulois sous l’égide des fabuleux studios Belvision et de Roger Carel (qui allait prêter sa voix à Astérix durant cinq décennies), les dessins animés se sont succédé avant, depuis 1999 et Claude Zidi, les longs-métrages incarnés par des acteurs en chair et en os. Avec des réussites et pas mal de déconvenues, surtout dans la deuxième catégorie. Car si Alexandre Astier a dynamité les codes BD en animation dans son exemplaire et euphorisant diptyque Le domaine des dieux – Le secret de la potion magique, le cinéma live, lui, a du mal à rendre vaillants ces habitants d’un village qui résiste encore et toujours à l’envahisseur et qui nous ont plus souvent fait pitié que triper sur la toile. Si ce n’est l’incontestable sommet d’Alain Chabat avec Mission Cléopâtre. Le Nul avait tout compris, sachant se faire infidèle pour adopter les propres codes de ses délires « Canal + » aux personnages d’Albert et René. Je dois dire qu’Au service secret de sa Majesté de Laurent Tirard, avec Edouard Baer en Astérix, s’il est parmi les plus détestés, est peut-être le film le plus fidèle aux bandes dessinées originelles, inventif visuellement mais aussi textuellement, dans la traduction d’expressions anglaises en français, ce qui ne marchait évidemment pas à l’écran et n’en faisait pas un bon film. Comme quoi, la fidélité a ses limites quand on passe d’un média à un autre. Le tout est dans l’équilibre.

Grosso Modo

Mais revenons à l’épreuve de Guillaume Canet. Si le réalisateur s’est retrouvé à la tête de la bagatelle de 65 millions d’euros (!), c’est parce qu’il faisait partie d’un cercle très fermé de réalisateurs français, remplissant trois conditions: « avoir déjà réalisé un film en anglais, avoir gagné un César, avoir connu un gros succès en salles… » Bref, c’est loufoque, chez les commanditaires, dont Sylvie Uderzo, la connaissance de l’univers des Gaulois craints dans tout l’empire romain, et même au-delà, passait bien après ce qu’ils pensaient être la potion magique pour faire un grand succès dans les salles obscures. Vu les raisons, on n’est pas étonnés qu’à plusieurs reprises, dans ce nouveau film, on assiste à un concours de qui a la plus grosse. Et il y a là matière à gagner des Gérard plus que des César.

Mais, alors, ce budget colossal, il se sent dans ce nouveau film? Hum… comment dire… oui, dans les décors monumentaux trouvés pour la plupart en… Auvergne, le Covix ayant empêché le gros du tournage en Chine. Quand les plans d’ensemble sur Rome, le village le plus célèbre d’Armorique, le désert, la Chine Antique ou encore cette incroyable cité perdue qui sert de prison et de base secrète pour les putschistes chinois, se marient à la musique de -M- (ou plutôt Remix), on rêve, on voyage, on y croit.

C’est une super-production ou un fan film?

Puis, c’est la chute libre dès qu’on se rapproche des personnages, avec des mouvements et des zooms de caméra pas toujours très heureux. Et c’est l’horreur dès que ceux-ci ouvrent la bouche. Dans le ton et l’esthétique, les quenilles, on n’y croit plus une seconde. C’est un superproduction ou c’est un fan film? C’est indigent et indigeste.

L’histoire? Voulue « originale » (c’est à dire pas adaptée d’un album existant, n’allez pas croire…), elle tient sur un coin de nappe. Obélix (Gilles Lellouche, crédible en Gérard Depardieu) coule des jours heureux à tenter de séduire Falbala (l’inévitable Angèle, donc,) tandis qu’Astérix (Guillaume Canet, qui se taille la part du lion, ou plutôt du dragon, jusqu’à la transformation « Tex averesque » du guerrier gaulois qand il goutte à sa gourde) est en plein questionnement existentiel: doit-il continuer à manger de la viande et, cette potion magique, dont on ne sait pas ce qui la compose, pourrait-elle être nocive pour la santé? On n’a pas tant de recul que ça… enfin les Romains, si, dès qu’ils dégustent une tatane qui les envoie promener à des lieues. Astérix serait-il sceptix? Il continuera son examen de conscience en cours de route, car une caravane venue de Chine, avec une princesse à bord et un gros balourd en guise d’escorte (Jonathan Cohen, insupportable, en Graindemaîs), vient d’arriver aux portes du village, suppliant ses habitants de venir l’aider.

Qui s’y colle? On vous laisse deviner qui va affronter le terrible Deng Tsin Qin (Bun-hay Mean, complètement à côté de ses geta, un doublage complètement con en prime, qui fait un très mauvais mauvais), rencontrer l’homme au masque de fer chinois, se confronter à César (Vincent Cassel) qui entre dans la danse par le jeu des espions et entend agrandir son empire pour soigner sa peine de coeur pharaonique. Sans oublier d’aller de coup de foudre en coup de foudre. Celle que les dieux du Septième et du Neuvième Arts font tomber sur nos têtes.

Et maintenant une page de pub

Pour lier le début et la fin de cette aventure voulue épix mais qui n’a pas fini de piquer les yeux, le reste est à l’avenant, les auteurs (ceux qui ont écrit les Tuche, Julien Hervé et Philippe Mechelen) s’en sont donné à coeur-joie sur les noms gaulois, romains, orientaux et asiatiques mais, pour le reste, c’est un film à sketchs qui nous fait attendre à tout moment les rires préenregistrés (amorcés par des acteurs qui forcent le rire pour un rien sur le mode « oh oh oh rions ensemble, voyez comme c’est drôle) et une succession de pages de pubs pour certains guests plus là pour faire leur promo, et faussement rigoler d’eux-mêmes, qu’autre chose.

Car oui, convoquer Angèle, Orelsan, Zlatan, MacFly et Carlito, Florent Manaudou, etc., leur tailler des affiches et leur consacrer une bande-annonce qui ne raconte rien sinon le casting de ce blockbuster made in France, c’est bien, mais encore faut-il assurer. Dès ce trailer de présentation, beaucoup d’observateurs avaient ainsi eu peur, un mauvais pressentiment. Moi, pauvre de moi, j’y croyais. C’est vrai, quoi, René Goscinny et Albert Uderzo (eux-mêmes de la revue à plusieurs reprises) ont bien fait jouer Annie Cordy, Les Beatles, Charles Aznavour, Lino Ventura, De Funès, Sean Connery, Kirk Douglas et bien d’autres dans leurs différents albums. Mais ils ne les prenaient pas en tant que tels, ils utilisaient leur pouvoir iconique, leur prestance, leur emploi ou leur contre-emploi pour servir et faire avancer leur histoire. Ici? Que dalle! Angèle est là pour chanter « c’est oui ou bien c’est non » – ou comment en 30 secondes d’apparition (n’allez surtout pas croire que ces stars ont des grands rôles, ils font bouche-trou, dans le vide abyssal, et attrappe-nigauds et réseaux) se décrédibiliser totalement dans un rôle rétrograde et tape-à-l’oeil, pas vraiment féministe. Pareil pour Orelsan (Titanix) et sa terre qu’il croit être ronde. Tout tombe à plat.

Saisi sosie

En fait, dans moins de dix ans, euh… un an, cet Astérix sera périmé car les radios seront passées à autre chose. Pire, on attire des gamins avec leurs coqueluches du moment devant un film qui, à mes yeux, ne leur convient pas et devant lequel ne vont pas se retrouver, non plus, leurs parents. Double peine. Quand à Zlatan Ibrahimovic, Antivirus, n’en parlons pas (en français plus que passable), il est là plus que les autres pour faire bébelle, dans une séquence qui tombe comme un cheveu dans la soupe et fait virer Astérix et Obélix en mode 300. Une autre page de pub dégoulinante d’égo. C’est pathétix. Et tant qu’à aller chercher d’autres références (on les a toutes mais pas les bonnes, avec de gros sabots, loin de la finesse goscinnienne), il y a aussi un passage navrant (enfin plus navrant encore que toutes les autres) faisant un « clin d’oeil » à la série Kung-fu et son petit scarabée.

Pire, preuve du manque total d’idées et d’investissement dans ce périple jaune, Guillaume Canet ressuce ni plus ni moins des idées des précédents films. Et notamment du Chabat. D’abord, c’est Gérard Darmon (inoubliable Amonbofils de Mission Cléopâtre) qui est le narrateur de ce nouvel opus. Puis, au rayon des anachronismes, on croise une voiture speedée et décapotée (certes, elle a de la gueule, elle) et des messages échangés par pigeons voyageurs qui bippent comme des téléphones portables. Ça a déjà été fait. Tout comme ces nombreux coups de coeur entre les différents protagonistes (ben oui, février, c’est aussi le mois de la Saint-Valentin) qui sont surlignés par une chanson (comme le Ti Amo culte dans Mission Cléopâtre) que nous vous laisserons le déplaisir de découvrir si nous vous avons donné l’envie d’aller voir ce film… ou pas. Le « tchic et tchic aïe aïe » n’est pas loin non plus. Cet empire du milieu, c’est la fuite des cerveaux, l’avènement des recycleurs, des irréductibles très réducteurs. Ce n’est plus un film, c’est une encyclopédie indigente, larmoyante. Ce n’est pas juste enrobé, c’est grotesque

Tout le monde cabotine, sauf Idéfix…

Les prestations des acteurs sont gênantes aussi. Si j’étais méchant, je dirais que tout le monde cabotine sauf Idéfix. Guillaume Canet n’est absolument pas investi dans ce pauvre Astérix. Il est mou, on dirait qu’il n’y croit pas. On l’a dit, les guests sont très souvent faux, appuyant le jeu. On a mal pour Pierre Richard en Panoramix, Franck Gastambide galère en Barbe-Rouge, la direction d’acteur fait déjouer le César de Vincent Cassel, Marion Cotillard est là pour nous percer les timpans.

On peut sauver Gilles Lellouche qui réussit un honorable Obélix (un peu trop poussé aux gloussements, pour tenter de communiquer le rire aux spectateurs en pleine crise d’apoplexie?) – et dont on se demande au vu de ses qualités de réalisateur s’il n’aurait pas réussi un bien meilleur film que son camarade -; Philippe Katerine tient haut la lyre son rôle de barde décérébré (avec toutes les parodies qui vont avec); Ramzy est poussif mais attachant en Epidemaïs, roi de l’esbroufe qui entend bien pécho la reine des yen dans son cachot perdu dans le trou du cul du monde; et José Garcia est complètement folle en Biopix, l’hagiographe de César. Ah, oui, elle n’a pas eu les honneurs des affiches comme tous ces gens du showbiz qui se révèlent piêtres, mais l’actrice qui joue Bibine, tenancière d’un petit bistrot dans un petit port de la Méditerranée, crève l’écran. Y compris quand elle chante Piaf. Puis, rayon showcase, le final avec -M- clôture cette catastrophe ambulante sur une note enfin (guitar) héroïque. Sinon, les habitants du village campés par de vrais comédiens (Lamy, Chicandier, Commandeur, etc.), bien que furtifs, s’en sortent pas trop mal, comme les Romains Yann Papin, François Desagnat et Manu Payet.

« On peut peut-être passer aux choses sérieuses? »

Au beau milieu du film, un des héros se demandait, texto: « On peut peut-être passer aux choses sérieuses? » On les attend toujours tant le ciel est tombé sur la tête des Gaulois, des Romains, des Chinois et des spectateurs, y compris ceux qui ne jurent que par les Reels et TikTok et qui, espérons-le, seront assez intelligents que pour ne pas se laisser avoir, corrompre par l’appel de quelques influenceurs qui ont une poignée de secondes à l’écran. Et qui ne reflètent absolument pas ce qu’est ce joyau du Neuvième Art qu’est Astérix et Obélix.

« Pour vous remercier selon la tradition normande, nous allons vous offrir un grand festin…

– Ne vous donnez pas ce mal, votre départ nous suffit. Partir, c’est nourrir un peu. » (Goscinny et Uderzo)

Sic transit gloria mundi. C’est un film malade, sclérosé et tournant en rond, qui nous fait soupirer après dix minutes, que nous « offre » Guillaume Canet. Astérix, c’était bel et bien du chinois pour lui, et il nous pose un sacré lapin avec ce produit de contrefaçon en chine, toc. Cacophonix épidémix qui, au moins, donnera lieu à un album adapté par Olivier Gay et illustré par Fabrice Tarrin, sans doute avec plus de style et de classe.

Alexis_Seny
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le 31 janv. 2023

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Alexis Seny

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