S’il fallait définir l’essence du film noir, Assurance sur la mort pose dès son prologue un exemple d’anthologie : une embardée in medias res, dans la panique et la fébrilité, un aveu d’échec qui nécessite qu’on remonte le fil des événements pour expliquer comment tout s’est effondré.


I didnt got the money, I didint got the girl : tout est dit. Dans une ambiance nocturne propre à la confidence, les ombres portées sur la porte vitrée, un accès à l’extérieur par les lames de persiennes ou la crudité d’une petite lampe de bureau, un jeu de lumière coupé au couteau enferme le protagoniste face à la vérité de sa situation : pris au piège, il est à l’épilogue de sa destinée.


Il ne s’agit donc pas d’une enquête à proprement parler : la question du who dunnit est expédiée dès le départ : le flash back permet surtout de mesurer les illusions et le nombre d’erreurs à venir. Ainsi de cet assureur frais et sûr de lui, expliquant aux clients qu’ils ne sont pas « fully covered », expert pour déjouer la roublardise des mauvais payeurs : l’assise ne tient pas longtemps, et il suffira des frémissements d’un fétichisme pour une chaîne de cheville, le temps d’une descente d’escalier, pour voir se prosterner le dur à cuire.


Il ne faut pas chercher de réelle cohérence ou de caution réaliste dans cette histoire qui se présente avant tout comme une fable tragique : tout ira très vite, et les personnage n’auront une grande complexité psychologique. Ce qui semble intéresser Wilder, c’est la mécanique narrative et les marches descendantes vers la catastrophe. La voix off surexplicite ainsi les erreurs données à voir, et raconte, impuissante, l’étau d’une emprise.


Quelques mystères jalonnent cependant le récit, de façon à accroitre la tension : le plan n’est pas donné à l’avance, le meurtre n’est pas montré : comme le protagoniste, le spectateur est dans un flou qui le déroute : la seule certitude étant celle de l’échec à venir, il guette les multiples grains de sable dans l’engrenage.


L’enfer de la passion face à la femme vénéneuse semble se ramifier sur la fin : on ne sait plus qui elle manipule, de notre pauvre héros ou de son autre amant, voire des deux.
La confession d’un homme mourant et dénué de toute illusion n’a plus qu’un objectif : innocenter celui qui pourrait être accusé à sa place. Maigre consolation pour celui qui sait qu’il n’a plus rien à sauver de sa personne.


Toutes les échappées spatiales, vectrice d’une belle tension (la descente d’escalier, le train, la voiture) n’aboutissent qu’à cette cellule : inutile d’en sortir, et d’envisager ce qui pourrait se passer après elle.


Contraste, découpage de l’espace, noir et blanc implacable : le film noir est une esthétique condamnation, et sans remise de peine.

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le 9 juin 2017

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Sergent_Pepper

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