Film sec, dur, rude, comme une terre à cultiver, un cheval à dompter, un paysan à convaincre, As bestas a une force sourde et obsédante qui hante l’esprit et s’y propage comme un insidieux poison.
Sorogoyen ose un film de son temps avec cette opposition entre les étrangers venus de la ville et les indigènes fils d’une terre ingrate, les premiers ouverts à l’ailleurs, à l’autre et à la nouveauté, les autres enracinés dans une tradition paysanne séculaire, hommes rustres et peu accueillants. Le tableau dichotomique à l’irréductible écart a de quoi choquer : face aux intentions louables et sans prétention des nouveaux arrivants, tant d’arrogance, de dureté, de gratuite méchanceté, de brutalité animale chez les frères Galiciens remue de l’intérieur et éveille les pulsions les plus cruelles et destructrices. Or la scène explicative de la conversation dans le café du village entre Antoine et les frères, scène-clé, car charnière, vient donner du sens à cette violence avant tout psychologique, puisque invisible, anonyme et silencieuse, visant à décourager moralement.
Sorogoyen parvient magistralement à installer progressivement un climat lourd, suffocant, extrêmement tendu dans lequel le couple de Français se sent seul et impuissant – son chien, animal réputé pourtant fidèle, louvoie entre un camp et l'autre - de plus, les représentants de l’ordre ne parviennent à résoudre ce conflit dont on ne peut voir la fin. En effet, bien qu’Antoine soit plus fort qu’un animal sauvage, il n’a pas assez de pouvoir ni surtout de ruse pour contrer la force maligne des frères Xan et Lorenzo – ces deux derniers étant d’ailleurs excellents dans leur second rôle, principalement Luis Zahera (Xan), meilleurs que Ménochet ou Foïs - qui est pourtant très convaincante. Cependant, le cinéaste Espagnol éprouve un peu de mal à finir son film, qui pêche par une certaine invraisemblance que tente de justifier tant que mal la présence quelque peu incohérente de la fille.
Certainement un des meilleurs films de l’année 2022.