Le dernier James Gray, où nous suivons les pas d'un jeune garçon juif américain de troisième génération qui va découvrir et affirmer sa passion pour l'art, notamment au travers du dessin, en dépit des carcans familiaux, de son milieu et de sa classe sociale qui se refusent à envisager pour lui autre chose qu'un "vrai métier". Une quête qui passera par la compréhension de ce que peut receler le mot "amitié" et la découverte de la difficulté à confronter ses rêves au diktat d'une réalité et des moyens pour y parvenir.

Ce n'est pas parce qu'on ne réussit pas à défendre ce en quoi on croit, lui dira son grand-père, qu'il ne faut pas continuer à essayer, au détour d'une scène dans un parc quasi-naturaliste, à l'aune des nombreuses scènes de familles contenues dans le film. Un mot sur le grand-père, joué par Anthony Hopkins, très vieux et très bien, c'est à dire autant que d'habitude, dans un rôle moins facile qu'il y parait. Et il faut voir ce qu'il arrive à faire avec les quelques scènes où il est. L'ombre du regret affectant son visage au détour d'un simple mouvement tandis que son petit-fils court récupérer la fusée qu'ils viennent de faire décoller si haut qu'elle a échappé au cadre (indeed), ce que contient ce regard est l'essence de ce qui sépare l'artisanat d'art du génie. Il serait facile d'écrire des dizaines de lignes sur ce regard, la part d'amour au présent qu'il contient, sa nostalgie potentielle,ou encore la crainte envers ce futur où ne sera plus là pour protéger et aimer ceux qu'il aime, lui qui aurait tellement à transmettre sur les usages du monde.

Car notre jeune héros ne sait pas grand chose. Il va devoir apprendre et vite. Et ce sera toute l'habilité de son grand-père de le toucher à ce point.

On sent James Gray habité par l'hommage très personnel qu'il veut rendre à cet homme et c'est tout son art de parvenir humaniser son caractère, idéalisé par ses yeux d'enfants. Cela passe par un travail remarquable sur sa famille et les parents, dont les caractères bien définis peuvent aussi surprendre quand la situation se durcit, comme au détour d'une belle scène dans une voiture avec le père joué par jérémy Strong; vieilli et presque méconnaissable par rapport à son rôle dans Succession _ ce qui est une très bonne surprise.

_ Un private aparté: Ah, James Gray et les voitures ! Ici, je pense à Sur les Quais... _ Fin du private aparté _

Anna Hathaway fait le métier et c'est bien de la voir dans un rôle dramatique plus subtil qu'il n'y parait.

A propos du héros et ses camarades enfants, les acteurs et actrices enfants sont très souvent justes, voire remarquables au cinéma et c'est bien le cas ici. Banks Repeta est un grand professionnel à l'américaine, aucun doute.

Je parlais de naturalisme plus haut au sujet du film mais en terme de dépiction d'une famille juive américaine du point de vue d'un enfant, j'ai pensé à Philip Roth, cet incroyable écrivain américain qui nous a quitté en 2018, dans un roman comme Le complot contre l'Amérique. Un grand roman familial tout autant qu'une incroyable façon de présenter le processus potentiel de montée du fascisme aux USA, entre autres choses car nous parlons là d'un des grands romans américains qui parsèment l'histoire de la littérature. James Gray aura-t-il enjoint ses actrices et acteurs à lire cet auteur ? A moins que ces derniers ne l'aient déjà fait eux-même ? Or not. (Une série en a aussi été tiré, sur HBO. Pas vue because livre exceptionnel.

En tout cas, le film ne cherche absolument pas à atteindre l'amplitude du livre. Ni à mêler petite et grande histoire comme le tout venant des films situés dans ces périodes archi-visitées du cinéma américain. C'est là son originalité, fragile il est vrai; et qui peut marcher ou non, suivant le spectateur ou la spectatrice mais aussi l"instant auquel on le regarde. Comme dans Ad Astra ou The lost City of Z, James Gray situe les enjeux sur l'intime et ce qui touche ses personnages en profondeur plutôt qu'en surface.

Qu'on accroche ou pas, cela sonne juste et la mise en scène, toute en maîtrise invisible durant les deux tiers du film, dévoile sa palette par touches une fois lancée. Et ce qui peut apparaitre comme une chronique d'un moment de vie familial et des étapes initiatiques d'un enfant aux porte du monde adulte, dépasse le cadre de l'illustration pour livrer une réflexion humaniste et existentielle qui a la délicatesse de laisser à chacun(e)s le choix de son interprétation et de sa portée. Comme sait si bien le faire ce grand cinéaste.

PSS:

1) 7/10 pour James Gray. Est-ce meilleur que quatre-vingt-dix pour cent de tout ce que j'ai vu au ciné ce mois-ci ? La réponse est oui.

2) Licorice Pizza, de Paul Thomas Anderson, sorti en début d'année, se passe à la même époque et certaines correspondances se retrouvent dans ces deux films, pourtant bien différents. C'est rassurant en un sens, selon moi, quand des grands cinéastes correspondent par l'entremise de leurs films.

Swindgen
7
Écrit par

Créée

le 18 juil. 2023

Modifiée

le 5 déc. 2022

Critique lue 20 fois

1 j'aime

Swindgen

Écrit par

Critique lue 20 fois

1

D'autres avis sur Armageddon Time

Armageddon Time
Plume231
5

Les Quatre Cents Coups !

Cela fait deux films que j’ai lâché le cinéma de James Gray (donc je n’ai pas encore regardé The Lost City of Z et Ad Astra ; je compte me rattraper un jour, bien sûr !). Ce qui fait que je n’ai vu...

le 9 nov. 2022

75 j'aime

17

Armageddon Time
Procol-Harum
7

La face cachée de la lune

La forme mise au service du fond, d’un tréfonds caché : le générique d’Armageddon Time nous renvoie vers la surface lisse d’une image idyllique, celle de l’Amérique d’hier que sacralise la mélodie...

le 11 nov. 2022

61 j'aime

7

Armageddon Time
Aude_L
5

Surtout, ne réfléchissez pas.

Le casting nous faisait tourner la tête comme une étoile filante qui transpercerait le ciel, mais Armageddon Time, s'il ne s'écrase pas complètement, est pour notre part une déception pour un...

le 5 nov. 2022

27 j'aime

Du même critique

Immaculée
Swindgen
5

Voix à suivre

Cécilia va prononcer ses voeux dans un couvent italien TELLEMENT isolé de tout & so gothic-exotic baduf-prod'outre-atlantique qu'on craint pire encore que le padre Russell de l'an dernier, mais...

le 31 mars 2024

2 j'aime

Dans la peau de Blanche Houellebecq
Swindgen
7

Plutôt approprié

Michel, écrivain célèbre et reconnu, est invité en Guadeloupe pour la promotion de son dernier livre. En pleine conversation avec le réalisateur Gaspard Noé, qui lui propose un rôle improbable dans...

le 15 mars 2024

2 j'aime

Les Filles d'Olfa
Swindgen
9

Quatre filles en marche _ Docu

D'entrée, le dispositif du film se met en place sous nos yeux. Des actrices vont jouer le rôle de deux sœurs disparues au sein d'une sororité de quatre, tandis qu'une autre interprètera Olfa, leur...

le 11 juil. 2023

2 j'aime