Sorti vidé du drame spatial Ad Astra, dont il fut partiellement dépossédé pendant la post-production, James Gray opère un retour aux sources. Au sens littéral, puisqu'avec Armageddon Time c'est un auto-portrait assumé. Il ne s'inscrit cependant pas dans une veine comparable aux mises à nu réalisées par certains collègues, de Tarantino à Paul Thomas Anderson en passant par Richard Linklater.
Gray ne s'est probablement jamais autant épanché sur son enfance et sa vision des années 80. Une époque aux couleurs antomnales, sonnant la fin du soleil, du bouillonnement, de l'enthousiasme. Une idée fort éloignée du révisionnisme imaginaire dont une partie des séries/films américains nous abreuve depuis une décennie. Mélancolique oui, nostalgique non. Sans forcer le trait, Gray est remonté contre l'ère Reagan, top départ d'un ultra-libéralisme amplifiant inégalités et injustices sociales (segmentation scolaire, discrimination). Le temps d'une apparition surprise, le réalisateur établit un parallèle dégoûté entre cette période et nos dernières années.
Armageddon Time est une œuvre douce-amère, du propos à la mise en forme (photographie austère, décors froids). Une fin de l'enfance programmée pour Paul (Banks Repeta, prodigieux), héritier en ligne directe du Antoine Doinel des 400 coups. Ma plupart de ses repères vont être ébranlés, une partie des nôtres avec. Le film a beau être programmatique dans ce qu'il annonce, Gray ne sombre pas dans les lieux communs. Il regarde la famille Graff avec ce mélange de tendresse et de chagrin alors qu'elle semble coincée dans ses contradictions, par rapport à ses principes ou sa douloureuse histoire. Garder les yeux au sec ne va pas être aisé, c'est le moins qu'on puisse dire.
Au delà de ces considérations, Armageddon Time est avant tout l'écrin parfait pour des interprètes motivés (comme ce fut le cas de tous les précédents Gray). Anne Hathaway, Jeremy Strong et Jaylinn Webb rivalisent de naturel et d'intensité pour nous emporter. Une fois de plus, Anthony Hopkins ensorcelle la caméra dans le rôle d'un papy gâteau, seul à même d'établir un dialogue avec Paul. Aucun effet tire-larmes, juste la captation d'un passage à l'âge adulte dans la douleur et pourtant synonyme d'accomplissement.