Pour la première fois depuis le début de cette série de chroniques, je me dois d’évoquer en premier lieu le titre, tellement il est fracassant, accrocheur, et provocateur à la fois ; de toute ma jeunesse de cinéphilie, jamais je n’avais autant été attiré lors d’une réclame du tube cathodique (ou une pub à la télé, quoi !) UNIQUEMENT par le titre du film marketé, un film obscur (pour moi à l’époque) des 70’s, période que je connaissais très mal à l’époque, cinématographiquement parlant, au titre claquant tel un coup de fouet : « Apportez-Moi La Tête d’Alfredo Garcia » ! Je vais le réécrire, pour bien vous faire ressentir le choc pour un gamin de 8-9 ans sevré aux films d’action et polars : APPORTEZ-MOI LA TÊTE D’ALFREDO GARCIA !


Malheureusement, je n’ai pas encore l’âge requis selon notre bon vieux conseil supérieur de l’audiovisuel, et le film passe bien sûr un dimanche soir, veille d’école, en seconde partie de soirée. Je mettrai à mon grand dam plusieurs années à le voir… Beaucoup trop d’années… Le film ne passera que rarement à la télévision privée et publique (hors chaînes câblées), et sera littéralement introuvable lors de mes recherches compulsives dans les bacs à soldes de VHS lors de mon adolescence. Je ne verrai cette perle rare que lors de sa sortie DVD en import au milieu des années 2000 ! Imaginez la frustration !…


Pourquoi cette relative confidentialité ? Le film est réalisé par Sam Peckinpah, aujourd’hui l’un des plus grands metteurs en scène que le cinéma américain ait jamais connus, mais complètement ostracisé, rejeté au milieu des années 1970, du fait de ses relations extrêmement conflictuelles avec les producteurs. Apparu dans les années 1960 avec le western Coups de feu dans la Sierra, ses rapports avec Hollywood commencent à se compliquer à et le rendre méfiant à l’égard des hautes instances californiennes du 7ème Art avec son western Major Dundee, pourtant porté par la star Charlton Heston mais qui sera massacré à la post-production (le film est aujourd’hui visible dans une version simili « director’s cut »). Heureusement, en 1969, Peckinpah donne un coup de pied dans la fourmilière du western américain, du cinéma hollywoodien et instaure littéralement les codes du découpage des scènes d’action avec son apocalyptique, violent, orgiaque et stylisé La Horde Sauvage, chef d’oeuvre absolu et définitif mais qui installera à son metteur en scène une image de cinéaste violent, provocateur, surnommé même d’après ses détracteurs « Bloody Sam ».


Après le thriller ultra-controversé Les Chiens de Paille, ne gommant aucunement la réputation sulfureuse de son réalisateur et le western Pat Garrett et Billy le Kid, dont le montage final lui échappe une fois de plus, Peckinpah signe avec cet étrange road-movie incarné par Warren Oates son film le plus sombre, le plus désenchanté, le plus nihiliste, le plus noir ; un voyage au bout de la mort, pire, même : un film où la mort est déjà là, tant le film est emprunt d’une ambiance parfois putride, où le cadre est peuplé de personnages semblant morts-vivants. Durant 108 minutes, dans un périple virant peu à peu au cauchemar, nous suivons le périple de Benny, minable pianiste de bar mexicain, prêt à tout pour s’emparer de la tête d’un de ses anciens amis décédés, mise à prix pour avoir mise enceinte la fille d’un riche propriétaire terrien.


Sentant qu’il est rejeté et qu’il ne sera jamais compris par ses contemporains, Peckinpah, qui mourra 10 ans plus tard à l’âge de 56 ans, joue ici sa dernière carte et dôté d’un budget minime de 1,5 million de dollars, livre un récit formidable, mélange inclassable de conte et de film noir, porté par une interprétation complètement habitée de Warren Oates, personnage voulant sortir de sa condition et plongeant malgré lui dans la folie, cherchant à découvrir pourquoi il doit apporter la tête envahie par les mouches et ornée de glace de son ami.


Bring Me the head of Alfredo Garcia est un film sombre, plombant l’âme humaine autant que le soleil de Mexique la peau, mais d’une virtuosité incroyable, comme toujours chez Peckinpah. Lorsque je découvre enfin le film, j’avais déjà aperçu le talent, le génie même de son metteur en scène dans son hallucinant La Horde Sauvage, et je comprends aujourd’hui l’une des influences célèbres d’autres cinéastes révérés par votre serviteur tels Quentin Tarantino, Martin Scorsese ou même Takeshi Kitano. Aujourd’hui, Sam Peckinpah est enfin reconnu par la profession, par l’intelligentsia cinéphile, cette dernière ayant toujours 15-20 ans de retard. Comme Robert Aldrich, Samuel Fuller ou Nicholas Ray…


Chronique à retrouver sur Critique-Film :
http://www.critique-film.fr/back-to-the-past-17/

HuriotDavid
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le 28 oct. 2016

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David Huriot

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