Aborder Apocalypto comme une simple chasse à l'homme, un survival en pleine forêt d'émeraude serait en réduire de manière malheureuse le sens. Même si le film parle aux sens et à l'instinct. Car il est frénétique dans la fuite de son personnage, au rythme de son coeur qui s'emballe et du sang qui tape dans ses tempes. Au plus près, presque dans ses pas, la caméra de Mel Gibson tourne autour de lui, comme lors de la scène inaugurale de chasse au tapir.


Apocalypto braconne donc sur le territoire de l'action pure, laissant à voir une civilisation qui en arrive à sacrifier ses propres fils pour mieux s'en repaître. Pourtant, ce peuple, dans les premières minutes, et présenté comme balbutiant, un seul petit groupe à l'état de nature, insouciant et qui ignore les signes qui crèvent pourtant les yeux. Ceux annonçant la nécessité d'un ailleurs. Car le développement et l'expansion de la civilisation les prend par surprise dans une attaque aussi spectaculaire qu'éprouvante. Immersive, crue, sauvage montrant la puissance de l'adversaire. Derrière eux, les flammes, des corps sans vie abandonnés et des enfants qu'on laisse à leur propre sort. La civilisation assoit sa grandeur dans la domination et une réduction en esclavage éphémère.


Jusq'ici, la caméra est restée vissée au sol. Jusqu'à l'entrée dans une cité folle et démesurée, outrageusement colorée, vue du ciel et peinte en de grands plans amples, comme jugée par des dieux qui savent déjà tout de sa destinée. Une ville qui tête le sein de la terre et avale son lait de manière immodérée. Une ville tout aussi conquérante que déjà empoisonnée de l'intérieur : apogée déjà pourrissante comme les corps suppliciés aux pieds des temples. Où des messagers divins gras et richement ornés offrent des coeurs en sacrifice aux Cieux et jettent les corps qui s'écrasent au sol sous le regard d'une foule docile qui exulte. Mel Gibson montre cela de manière frontale en rendant à l'écran toute la folie ambiante et l'horreur de rites barbares, la peur qui s'empare des victimes, leur dernière vision comme renversée avant le grand voyage.


Au contraire du petit groupe originel, la civilisation se fie de manière aveugle à ce qu'elle perçoit comme des signes. Elle voit un jaguar courir dans les traces du fuyard et offrir sa protection comme un animal-totem ou le soleil devenir noir en plein jour comme la traduction d'une soif divine de sang étanchée. Sa chute est inéluctable. La course poursuite sera dès lors dessinée comme un déclin, l'expression directe de l'instinct animal sur la piste de sa proie. La ville malade de sa grandeur est déjà loin et l'empire ne sera bientôt plus alors que se dessinent des bateaux à l'horizon et qu'une croix sera bientôt plantée sur la plage.


Patte-de-Jaguar ne court plus. Comme ceux qu'il a croisé, avant que la civilisation ne l'asservisse et le chasse pour satisfaire son bon plaisir, il se met en quête d'un ailleurs et d'un nouveau départ. Loin des Mayas qui ne sont déjà plus. Loin de ceux qui avancent dans la forêt et qui finiront par les remplacer, comme la lune passe devant le soleil.


Behind_the_Mask, hors d'haleine.

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le 18 mars 2016

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