En plein Guerre de Sécession, Eden (Janelle Monaé) vit l'enfer de l'esclavage dans une colonie de soldats confédérés particulièrement acharnés pour torturer leurs serviteurs.
En 2020, son parfait sosie, Veronica, est une célèbre auteure/militante des droits des minorités dans une Amérique contemporaine au racisme évidemment exacerbé par ses représentants les plus conservateurs.


À l'image des bandes-annonces qui ont cherché à garder savamment le mystère sur ce qui relie ces deux époques à travers l'héroïne incarnée par Janelle Monaé, on n'en dira plus pour ne pas gâcher la surprise car c'est bien sûr là que réside la plus grande qualité de ce "Antebellum" dont le discours évoque forcément l'ombre d'un Jordan Peele (pas un hasard si le film est en grande partie vendu sur l'évocation de son nom).
L'idée sur laquelle repose ce long-métrage signé par le duo Gerard Bush/Christopher Renz est en effet monstrueusement géniale, peut-être pas si originale dans son concept proprement dit mais brillamment pensée avec un tel contexte. Seulement, le traitement choisi pour la concrétiser va peiner à lui rendre véritablement justice.


Le passage d'une époque à une autre sans que l'on en connaisse encore la raison est une excellente idée pour déstabiliser le spectateur mais, faute d'un découpage vraiment habile (chaque période s'étale beaucoup trop longuement), ces deux temporalités ne proposent intrinsèquement rien de vraiment de neuf : l'époque esclavagiste se résume à une redite d'un "12 Years a Slave" bas du front et la vie de cette militante médiatique en 2020 partagée entre le bonheur familial, ses sorties entre copines, ses discours louables mais pompeux et le racisme dont est victime une Afro-américaine au quotidien n'engendre rien de follement original ou d'excitant à l'écran. De fait, malgré ses changements de cadres historiques et les a priori positifs que l'on pouvait avoir au vu de cette proposition somme toute intrigante, "Antebellum" va souffrir de la pauvreté du contenu qu'il a à offrir sur ces deux époques jusqu'à nous faire sombrer dans un ennui que l'on n'avait pas vu venir.


Enfin, pas un ennui total, soyons honnêtes, les points de liaison temporels se font effectivement de plus en plus nombreux sur la durée et vont réussir à maintenir notre intérêt quant à la compréhension de l'énigme en cours. Mais notre quête vers sa résolution ne marchera hélas que sur du très court-terme car, encore une fois, "Antebellum" va se révéler extrêmement maladroit pour disséminer ses indices -tantôt trop démonstratifs, tantôt trop artificiels par leurs procédés de dissimulation à l'image- et, à moins d'avoir les capacités de réflexion d'un soldat confédéré en fin de banquet, tout s'éclaire bien vite sur la grande révélation vers laquelle le film veut gentiment nous emmener.
Appuyant volontairement le malaise palpable qu'induit une telle solution, "Antebellum" va relever la tête dans sa dernière partie avec une confrontation inévitable (et même nous faire entrevoir le potentiel qu'il n'a jamais vraiment atteint lors d'une chouette ultime séquence) mais le manichéisme presque extrémiste avec lequel il se sera emparé de son idée principale dans son intégralité aura finalement réduit son message pourtant essentiel à ses contours les plus caricaturaux. Cette approche rudimentaire passant en partie à côté de la force de son concept ne sera d'ailleurs pas sans rappeler celle qui gouverne la portée politique inoffensive de n'importe quel opus de la saga "American Nightmare".


Il est donc fort dommage que "Antebellum" se résume à une idée séduisante perdue dans un film qui tente vainement d'être à sa hauteur. Grâce à une décidément formidable Janelle Monaé et quelques sursauts, le film réussit à obtenir la mention passable mais on ne pourra pas nous ôter de la tête qu'il y avait moyen de faire tellement plus et mieux...

RedArrow
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le 9 sept. 2020

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RedArrow

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